En route durant la nuit

L’Aide et soins à domicile (ASD) propose ses services également pendant la nuit – et ce, dans certaines régions, depuis de nombreuses années. Pour répondre à la demande croissante et à la complexité grandissante des situations de soins à domicile, les offres nocturnes ont été constamment étendues et développées. Il n’est pas rare que les organisations soient confrontées au défi de savoir comment financer l’offre et où recruter le personnel qualifié adéquat.

KATHRIN MORF ET EVA ZWAHLEN. Le «travail de nuit» désigne, selon la loi sur le travail, le travail exercé entre 23 heures et 6 heures du matin. Le travail de nuit offre au personnel une grande liberté d’organisation et exige une grande autonomie – ainsi que des mesures de protection de la santé de la part des employeurs. Quelles sont les tendances actuelles dans le domaine du travail nocturne au sein de l’ASD? Quels sont les obstacles qui freinent le développement de ces services? Et quels sont les côtés positifs et négatifs du travail de nuit pour les collaboratrices et collaborateurs? Tamara Renner, co-directrice de l’organisation d’aide et de soins à domicile de la ville de Lucerne, et Cornelis Kooijman, co-directeur d’Aide et soins à domicile Suisse, se penchent sur ces questions et d’autres encore.

Travailler quand d’autres dorment: c’est une réalité qu’Arlind Maksuti, de Spitex Zürich, connaît bien. Photo: Patrick Gutenberg

Tamara Renner et Cornelis Kooijman, comment l’offre en prestations de nuit de l’Aide et soins à domicile (ASD) a-t-elle évolué au cours des dernières années?
Tamara Renner (TR): Si je reviens sur les origines de notre service de nuit, je remarque surtout que les situations nocturnes sont devenues plus complexes au fil du temps et qu’il y a plus d’urgences qu’auparavant. Au cours des quelque 13 premières années de notre offre, les employés partaient en tournée à deux, avec à chaque fois une infirmière diplômée ES et une auxiliaire de santé. Une collaboratrice prenait en charge l’intervention, l’autre attendait dans la voiture. Pour des raisons de sécurité, elles restaient en contact par radio. Si nécessaire, elles se rendaient toutes les deux chez le client ou la cliente. Il y avait seulement une tournée par nuit, aujourd’hui il y en a trois (voir encadré sur l’ASD de la ville de Lucerne).

Cornelis Kooijman (CK): Nous constatons que le nombre mais aussi l’étendue des offres de soutien nocturnes proposées par les organisations d’aide et de soins à domicile ont augmenté au fil des ans. Ainsi, de nombreuses entreprises proposent aujourd’hui un service de piquet d’urgence ou fournissent des prestations de soins 24 heures sur 24, notamment lors de situations particulières dans le cadre de soins palliatifs. Il existe en outre des organisations d’aide et de soins à domicile qui, pour ces services, couvrent un périmètre plus large que leur zone de desserte habituelle et qui, par exemple, soutiennent également des organisations voisines.

En fournissant des prestations aussi la nuit, le principe de ‹l’ambulatoire avant le stationnaire› est réellement appliqué.

CORNELIS KOOIJMAN

Co-directeur d’Aide et soins à domicile Suisse

Quelles sont les raisons de la croissance constante de l’offre en «soins à domicile de nuit»?
CK: De plus en plus de personnes vivent seules, il y a moins de ménages multigénérationnels, la société est plus individualiste. Les prestations de soutien, y compris pendant la nuit, ne peuvent plus et ne sont plus fournies «simplement» par les proches. Aujourd’hui, les interventions de soins complexes ont tendance à être effectuées à domicile, ce qui peut nécessiter des soins pendant la nuit. L’utilisation d’appareils numériques et de capteurs pour les mesures en temps réel permet à l’organisation d’aide et de soins à domicile d’être informée en permanence des situations d’urgence ou du besoin d’aide, et donc de recourir de manière ciblée au service de piquet.

TR: Je partage cette analyse. J’aimerais ajouter que les gens quittent aujourd’hui plus tôt l’hôpital et entrent plus tard dans une structure stationnaire. Un service de nuit professionnel et très bien formé nous aide à faire face à la complexité décrite précédemment.

Quels sont les avantages pour la population lorsque l’ASD se déplace aussi la nuit?
CK: Les prestations nocturnes permettent aux personnes de vivre plus longtemps chez elles. Sans l’offre d’aide et de soins à domicile de nuit, elles devraient intégrer une structure stationnaire plus tôt, surtout lorsque l’entourage ne peut pas prendre le relais ou qu’il n’y a pas de proches. Si les proches assument déjà une part importante du travail de care, les organisations d’aide et de soins à domicile peuvent les soulager. En fournissant des prestations aussi la nuit, le principe de «l’ambulatoire avant le stationnaire» est réellement appliqué. Eviter ou retarder l’entrée en institution permet aussi d’économiser des coûts. De plus, les personnes bénéficiant de prestations d’aide et de soins à domicile durant la nuit reçoivent le soutien dont elles ont besoin au moment où elles en ont besoin – à savoir 24 heures sur 24.

TR: Notre service de nuit couvre tout, y compris les situations complexes et les urgences. Pour moi, le plus grand avantage de l’offre de nuit est que les clientes et les clients peuvent, comme déjà mentionné, rentrer plus rapidement chez eux après un séjour à l’hôpital. De plus, les personnes gravement malades ou en fin de vie n’ont pas besoin d’être transférées dans un établissement stationnaire, mais peuvent le plus souvent faire leurs adieux dans le cadre familier de leur domicile. Il est également essentiel de décharger les proches aidants, comme l’a déjà souligné Cornelis. En tant qu’économiste, je dirais que, sur le plan économique, les coûts globaux sont plus élevés la nuit que le jour. Nos employés ont ainsi des temps de trajet parfois plus longs. Cependant, il vaut la peine pour chaque commune et chaque canton de mettre en place un service de nuit complet. Les coûts des soins en milieu stationnaire sont bien plus élevés qu’en ambulatoire. Chaque jour passé en dehors d’un lit d’hôpital ou d’un établissement médico-social réduit les coûts du système de santé.

Sur le plan économique, les coûts globaux sont plus élevés la nuit que le jour. Cependant, il vaut la peine pour chaque commune et chaque canton de mettre en place un service de nuit complet.

TAMARA RENNER

Co-directrice de Spitex Stadt Luzern

Quels sont les obstacles à la mise en place et au développement d’un service de nuit?
TR: En principe, lorsqu’un tel service n’existe pas, je constate que ce sont les proches aidants qui prennent en charge les tâches à accomplir, ce qui conduit tôt ou tard à une surcharge de travail. Quant aux personnes ayant besoin de soins, elles intègrent plus rapidement une structure stationnaire. Pour répondre à la question, je vois deux obstacles concrets. D’une part, il peut être difficile de trouver du personnel qualifié, y compris pour les services de nuit. Il est donc d’autant plus important de sensibiliser les employés de l’ASD, actuels ou potentiels, à ces missions – et de mettre en lumière l’impact de ce travail précieux. Le deuxième obstacle est, selon moi, le financement. Il est essentiel que les communes et le canton aient la volonté d’investir dans un service de nuit et dans des prestations ambulatoires. Actuellement, les assureurs-maladie appliquent le même tarif, que la prestation soit fournie le jour, le soir ou la nuit. Les communes devraient s’associer pour mettre en place un service de nuit professionnel, incluant une offre spécialisée en soins palliatifs. Cela soulagerait énormément le système de santé et permettrait aux personnes de rester chez elles, conformément à leur souhait. Enfin, le canton et les communes doivent être prêts à payer des salaires adéquats, afin d’attirer du personnel qualifié capable de gérer les situations complexes et d’urgence.

CK: Les interventions de soins nocturnes doivent souvent être réalisées par du personnel spécialisé et bien formé. Trouver et recruter ce personnel n’est pas chose aisée, comme l’a souligné Tamara. Faire appel à des professionnels hautement qualifiés entraîne des coûts plus élevés. Or, les services de nuit ou les piquets de nuit doivent également être financés dans leur intégralité. Qui prend en charge ces surcoûts? Un autre obstacle réside dans le fait que ces services nocturnes ne sont pas encore suffisamment connus. Par ailleurs, certaines personnes peuvent ressentir un certain inconfort à l’idée qu’une personne étrangère entre chez elles durant la nuit.

Il est important que la mise en place et le développement d’un service de nuit soient bien accompagnés, et que la rémunération soit adaptée.

CORNELIS KOOIJMAN

Co-directeur d’Aide et soins à domicile Suisse

Que peut faire une organisation d’aide et de soins à domicile pour minimiser les contraintes sanitaires et sociales liées au travail de nuit pour ses employés?
TR: Je tiens à préciser que tous les employés qui travaillent chez nous durant la nuit ont fait ce choix en toute conscience – que ce soit parce que cela convient à leur structure familiale ou à leur quotidien. Néanmoins, en tant qu’employeur, nous prenons notre responsabilité très au sérieux: tous les membres de l’équipe de nuit âgés de plus de 50 ans bénéficient chaque année d’un examen médical, tandis que ceux de moins de 50 ans y ont droit tous les deux ans. De plus, ils reçoivent un crédit d’heures équivalent à 10% de leur temps de travail, qui doit être compensé sous forme de congés payés conformément à la loi. Nous versons en outre des indemnités pour la prise de responsabilités supplémentaires et pour le travail entre 20 heures et 6 heures du matin. Les employés ont droit à une pause payée d’au moins 45 minutes par nuit. Nous protégeons et soutenons notre équipe de nuit par différentes mesures de sécurité, comme un dispositif de localisation, sur lequel il suffit d’appuyer en cas d’urgence, ainsi qu’une formation à la prévention des risques et à la sécurité. Enfin, nous collaborons avec la police si nécessaire. Je suis consciente que nos collaboratrices et collaborateurs sont très flexibles, responsables et autonomes, ce que j’apprécie beaucoup: ils prennent soin d’eux-mêmes et des autres, sont impliqués dans les discussions de cas et l’élaboration du planning, et peuvent assumer des tâches supplémentaires s’ils le souhaitent.

CK: Les propos de Tamara sont impressionnants et montrent à quel point il est important que la mise en place et le développement d’un service de nuit soient bien accompagnés. Une équipe de nuit doit être visible et intégrée dans l’entreprise, la rémunération doit être adaptée. Les employés doivent se sentir en sécurité. Cela est particulièrement crucial dans les soins à domicile, où le personnel travaille seul sur le terrain. La nuit, cet aspect doit recevoir encore plus d’attention.

Jusqu’à 60 kilomètres parcourus chaque nuit
En 1995, l’Aide et soins à domicile de la ville
de Lucerne (Spitex Stadt Luzern) a été la première organisation d’aide et de soins à domicile de Suisse à créer une équipe de nuit autonome. Cette équipe travaille pour la ville de Lucerne, plus de 15 communes de l’agglomération, l’établissement pénitentiaire de Grosshof à Kriens, divers prestataires de services intermédiaires et stationnaires de la ­région, la clinique Hirslanden à Meggen et le système d’alarme de la Croix-­
Rouge suisse. Si besoin, Spitex Stadt Luzern prend aussi en charge les clientes et clients d’organisations d’aide et de soins à domicile privées. L’équipe de nuit se compose de cinq infirmières et infirmiers diplômés ES et de sept assistantes et assistants en soins et santé communautaire (ASSC). Elle s’occupe d’une ­cinquantaine de clientes et clients. Entre 23 h 15 et 6 h 45, l’équipe effectue trois tournées, lesquelles sont entièrement occupées par des interventions. Une tournée est assurée par une infirmière ­diplômée, qui assume également la responsabilité de l’équipe de nuit, tandis que les deux autres tournées sont effectuées par des ASSC. Les missions comprennent des ­visites à des personnes atteintes de démence, des prestations d’aide pour la toilette du soir ou la gestion de chutes et de cathéters déplacés. Elles vont jusqu’à la prise en charge de clientes et de clients suivis en psychiatrie et de situations palliatives complexes. Les membres de l’équipe de nuit travaillent seuls et se déplacent en voiture. Ils sont équipés d’un téléphone portable, d’une tablette ou d’un ­ordinateur portable, et leur sécurité est assurée par un traceur GPS. Chaque nuit, ils réalisent environ 30 interventions planifiées.

Quels sont les atouts du travail de nuit?
CK: Pour les employés qui apprécient le travail de nuit, qui aiment être encore plus autonomes dans leurs déplacements et qui souhaitent assumer davantage de responsabilités, le travail de nuit peut être particulièrement intéressant et attractif.

TR: Je partage le point de vue de Cornelis. J’ai déjà évoqué les nombreux avantages et «incitations» qui existent dans notre service d’aide et de soins à domicile. Je voudrais en outre souligner la variété des missions – aucune nuit ne ressemble à une autre. Comme nos collaboratrices et collaborateurs se déplacent la nuit en voiture, ils sont moins pris dans les embouteillages et trouvent toujours une place de parc. De plus, l’ambiance sur la jetée au lever du soleil est fantastique! Et, cela n’est pas des moindres, le contact avec les clientes et clients durant la nuit est particulièrement personnel. Ces derniers sont très reconnaissants et apprécient beaucoup notre service.

Situation juridique
Les organisations d’aide et de soins à domicile bénéficient de la disposition spéciale selon ­laquelle elles ne sont pas tenues de demander une autorisation pour le travail de nuit et du dimanche, conformément à la loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (loi sur le travail, LTr): «Les entreprises de soins à domicile peuvent occuper des travailleurs toute la nuit et tout le dimanche sans autorisation officielle, dans la mesure où cela est nécessaire à l’accomplissement de tâches au domicile de personnes ayant besoin d’aide. Les autres dispositions de la loi sur le travail relatives au travail de nuit et du dimanche doivent toutefois être respectées (OLT2, art. 17 Entreprises de soins à domicile).»

www.fedlex.admin.ch
www.seco.admin.ch

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