Collaborer pour les patientes et patients

L’Aide et soins à domicile (ASD) et les hôpitaux doivent collaborer afin de fournir les meilleurs soins de santé intégrés possibles. C’est la conviction de Regine Sauter, présidente de H+, et de Thomas Heiniger, président d’Aide et soins à domicile Suisse. Ils discutent ci-après de sujets tels que les lacunes de financement, EFAS, les sorties d’hôpital et le «Hospital at Home».

Quelle est la situation des hôpitaux suisses?
«Je souhaite tout d’abord que l’on porte un regard plus positif sur notre système de santé. Celui-ci est en effet excellent, notamment en comparaison internationale et cela vaut aussi pour nos hôpitaux», déclare Regine Sauter, présidente depuis le 1er janvier 2023 de l’association faîtière «H+ Les Hôpitaux de Suisse» qui compte 207 membres. «Toutefois, nos hôpitaux sont également confrontés à de grands défis», ajoute-t-elle. A l’instar des services d’urgence fortement sollicités, de la pénurie de personnel qualifié et surtout du financement. «Les tarifs actuels sont obsolètes et ne couvrent pas les coûts», précise-t-elle. Ce problème s’est encore aggravé avec le renchérissement de ces derniers mois. «De nombreux hôpitaux bouclent leurs comptes avec un déficit. Ce problème structurel doit être résolu de toute urgence», demande-t-elle. «Le renchérissement devrait par exemple être compensé de manière prospective.»

Regine Sauter peut néanmoins aussi comprendre que des critiques s’élèvent parfois sur les coûts des hôpitaux. «Il serait inexact de dire qu’il n’existe pas de structures inefficaces», poursuit-elle. «Nous devons analyser comment les soins hospitaliers actuels peuvent être optimisés et ce qui est nécessaire pour les soins de base.» Cela permettrait également de mieux utiliser les ressources en personnel, un élément essentiel en ces temps de pénurie de personnel qualifié.

Quels sont les grands défis communs à H+ et à Aide et soins à domicile Suisse?
«Les hôpitaux et l’ASD ont une responsabilité commune: fournir des soins de santé centrés sur le bien-­être des patientes et des patients et ne présentant ni surabon­dance ni lacunes en matière de soins. De cette respon­sabilité commune découlent des tâches et des préoccu­pations communes», explique Thomas Heiniger, président d’Aide et soins à domicile Suisse. C’est pourquoi les hô­pitaux et l’ASD collaborent souvent à un niveau supé­rieur, notamment au niveau cantonal. «Des processus sont définis au niveau supérieur pour qu’ils puissent fonctionner à la base. En outre, nos associations repré­sentent ensemble une voix encore plus forte face aux as­sureurs et aux cantons», explique Regine Sauter. L’un des plus grands défis communs à Aide et soins à domicile Suisse et à H+ est actuellement la pénurie de personnel qualifié, raison pour laquelle les deux associations sa­luent l’offensive de formation lancée par l’initiative sur les soins infirmiers. Aide et soins à domicile Suisse a ce­pendant récemment demandé plus de moyens financiers pour que les organisations d’aide et de soins à domicile puissent mettre en œuvre différentes mesures visant à augmenter l’attractivité de leur travail (cf. «Magazine Aide et soins à domicile» 2/2023). Regine Sau­ter réitère cette demande: «L’offensive de formation est une étape clé dans la lutte contre la pénurie de person­nel qualifié. Du côté des fournisseurs de prestations, des mesures sont également nécessaires pour le maintien des collaboratrices et des collaborateurs. Toutefois, celles­-ci peuvent être mises en œuvre que si les coûts sont couverts.» La population et les politiques doivent comprendre qu’un système de santé qui fonctionne a aussi un coût, ajoute Thomas Heiniger. «Dans la société, l’état d’esprit dominant est de vouloir disposer du meil­leur, tout de suite et à tout moment, mais à bas prix, voire gratuitement.» La plus grande difficulté du système de santé est cependant autre: sa complexité. «Il existe trop d’acteurs, d’interfaces, de systèmes de finance­ment. Nous devons réduire sa complexité. A ce titre, nous avons enfin besoin d’une loi sur la santé claire et com­préhensible», demande-­t-­il.


Regine Sauter, présidente d’H+ Les Hôpitaux de Suisse et Thomas Heiniger,
président d’ASD Suisse. Image: Patrick Gutenberg

A propos des personnes interviewées
Regine Sauter, 57 ans, est présidente de H+ Les Hôpitaux de Suisse depuis le 1er janvier 2023. Titulaire d’un doctorat en sciences politiques et d’un MBA, elle est conseillère nationale PLR zurichoise depuis 2015 et directrice de la Chambre de commerce de Zurich depuis 2012. Elle est également membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N). En octobre 2023, elle se présentera aux élections du Conseil des Etats.
www.reginesauter.ch

Thomas Heiniger, 66 ans, est depuis 2019 président d’Aide et soins à domicile Suisse et, entre autres, président du conseil d’administration de Psychiatrie Baselland (PBL). Diplômé en droit et titulaire d’un doctorat, le Zurichois a été conseiller cantonal et d’Etat pour le PLR. En tant que responsable de la direction de la santé publique zurichoise, il a mis en œuvre la nouvelle planification et le nouveau financement des hôpitaux zurichois, posant ainsi des jalons à l’échelle nationale. 
www.thomasheiniger.ch

Qu’apporte le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS)?
Selon Thomas Heiniger et Regine Sauter, une réduction urgente de la complexité concerne le financement actuellement différent des prestations ambulatoires et stationnaires: les prestations stationnaires des hôpitaux sont remboursées depuis 2012 par des tarifs uniformes, les forfaits par cas liés au diagnostic (Diagnosis Related Groups; DRG). Les cantons paient 55 % des coûts et les assureurs maladie 45 %. En revanche, les traitements ambulatoires sont financés à 100 % par les primes. Selon les spécialistes, la différence de financement entre les prestations ambulatoires et stationnaires conduit à de fausses incitations. Par exemple, des patientes et des patients sont orientés vers des traitements hospitaliers plutôt qu’ambulatoires, car les assureurs y trouvent un avantage. C’est pourquoi le Parlement travaille depuis longtemps sur le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS). Les cantons et les assureurs doivent à l’avenir financer toutes les prestations selon une répartition uniforme des coûts. La manière exacte dont EFAS sera mis en œuvre n’est pas encore totalement claire 1, mais Regine Sauter et Thomas Heiniger sont favorables au projet. «Tant qu’il y aura de fausses incitations dans le système de santé, les traitements risquent de ne pas être effectués là où ils sont les plus utiles pour les patientes et les patients et les plus avantageux sur le plan macroéconomique», explique Regine Sauter. «Grâce à EFAS, les financeurs décideront d’un traitement selon des principes médicaux plutôt que commerciaux», confirme Thomas Heiniger. Toutefois EFAS ne supprime pas la pensée en silo ou l’approche «chacun pour soi» des fournisseurs de prestations. «Afin de contrer cela, une transparence des coûts et des tarifs qui couvrent les frais sont nécessaires», demande Regine Sauter. Un traitement stationnaire peut aujourd’hui être plus intéressant du point de vue de l’hôpital car les hôpitaux sont confrontés à un sous-financement de 30 pour cent dans le domaine ambulatoire. «Les prestations de coordination, au cœur des soins intégrés, doivent également être financées de manière appropriée pour que ceux-ci puissent fonctionner», ajoute Thomas Heiniger. Il s’agit notamment de la gestion interprofessionnelle des sorties. A cet égard, l’ASD s’est souvent battue pour que ses prestations à l’hôpital soient financées, en particulier en dehors du jour d’entrée et de sortie. C’est pourquoi toutes les conventions administratives entre l’ASD et les assureurs stipulent aujourd’hui ce qui suit: l’ASD peut fournir des évaluations des besoins et des prestations de coordination à l’hôpital, même en dehors du jour d’entrée et de sortie et «qui doivent être effectuées pendant un séjour à l’hôpital afin d’assurer un déroulement optimal du traitement.»

«Visit – l’hôpital Zollikerberg à domicile» 
«Visit» est le nom du projet pilote de l’hôpital Zollikerberg ZH qui a été lancé en novembre 2021. Il offre «un traitement équivalent à celui d’un hôpital dans un contexte habituel et privé» (cf. Magazine Aide et soins à domicile 3/2022). Les patientes et les patients sont surveillés 24 heures sur 24 par télémédecine et des visites régulières sont effectuées par le corps médical et le personnel soignant de l’hôpital. La patientèle éligible pour «Visit» est celle qui habite à 15 minutes maximum de l’hôpital et qui souffre d’une maladie aiguë nécessitant une hospitalisation mais pouvant être traités en toute sécurité dans leur environnement privé. L’hôpital a répondu par écrit aux questions. Il explique ainsi que le projet pilote d’un an a été prolongé «dans le but de passer à une exploitation régulière». Jusqu’à présent, 102 patientes et patients ont été traités [situation au 14.05.2023]. Le suivi de ces patientes et patients est «planifié individuellement et peut également inclure une prise en charge par l’ASD». La manière dont l’ASD est impliquée et le moment où elle l’est reposent «en grande partie sur les mêmes critères que si la patiente ou le patient était hospitalisé». Des expériences et des statistiques plus précises seront communiquées lorsque la prochaine phase du projet sera atteinte. Dans un exposé sur «Visit» ou sur le site Internet de l’hôpital, il est dit combien l’équipe a dû apprendre sur les soins médicaux et infirmiers à domicile. N’aurait-il pas été possible d’économiser une partie de ces «frais d’apprentissage» en faisant appel à l’ASD? «L’hospitalisation à domicile ainsi que les services de soins à domicile sont très différents en termes d’indication et d’offre. Les enseignements que nous avons tirés jusqu’à présent portent principalement sur l’équipement technique et sur les diagnostics qui se prêtent à un encadrement de visite», répond l’hôpital à cette question. Sur le site Internet de l’hôpital, une médecin exprime en outre dans une interview le souhait d’élargir «Visit», notamment aux soins palliatifs à domicile. L’implication de l’ASD est-elle prévue dans ce cas? «Une extension de l’offre est certainement envisageable. Mais comme elle n’a pas encore été conceptualisée, nous ne pouvons pas donner d’indications à ce sujet», répond l’hôpital. Les avantages de «Visit» sont multiples, écrivent encore les responsables. Ainsi, les patients «se déplacent déjà de manière plus autonome pendant leur hospitalisation à domicile. Cela favorise une évolution positive de la guérison.» Le risque de chutes et d’infections nosocomiales pourrait également être réduit. Et qu’en est-il du financement? Le codirecteur du projet, Christian Ernst, a expliqué en 2022 que «Visit» était financé pour moitié par les caisses d’assurance maladie et pour moitié par l’hôpital. «La transition du projet «Visit» vers un fonctionnement normal dépend d’un financement à long terme», explique l’hôpital. «C’est pourquoi nous nous concentrons actuellement sur la mise en évidence des avantages d’une approche ‹Hospital at Home› par le biais d’un travail d’information et d’un suivi scientifique par l’Institut Neumünster, et de créer ainsi les bases d’un financement régulier.»
www.spitalzollikerberg.ch/visit

Grâce à EFAS, les financeurs décideront d’un traitement selon des principes médicaux plutôt que commerciaux.

Thomas Heiniger

Président d’ASD Suisse

Pourquoi inclure les soins infirmiers dans EFAS?
La question de savoir si les soins doivent être inclus dans EFAS fait l’objet de discussions. Aide et soins à domicile Suisse et les cantons demandent clairement «EFAS soins compris». «Du point de vue des coûts globaux, l’importance des soins infirmiers est certes bien moindre que celle des prises en charges médicales. Mais pour le bien-être global de la population et les soins intégrés, les soins infirmiers sont d’autant plus essentiels», explique Thomas Heiniger. «Cela se voit pour les 440 000 personnes qui ont besoin de prestations d’aide et de soins à domicile en Suisse. Vu leur portée, il ne fait aucun doute que les soins infirmiers doivent être inclus dans un système visant à promouvoir les soins intégrés.» Regine Sauter réaffirme qu’elle considère également EFAS soins compris comme un projet important en tant que parlementaire. «Mais j’ai aussi appris que les projets colossaux dans le domaine de la santé risquent davantage d’échouer», dit-elle. C’est pourquoi elle salue la proposition du Parlement d’échelonner le projet. La proposition actuelle est d’introduire EFAS sur une période transitoire de trois ans – et d’intégrer les soins infirmiers après 7 ans en tout. Thomas Heiniger se rallie à cette opinion et est convaincu que d’ici l’introduction d’EFAS soins compris, l’ASD pourra présenter la base de données et la transparence des coûts exigée dans le cadre de la discussion sur EFAS. 2


Regine Sauter, Présidente d’H+ Les Hôpitaux de Suisse, et Thomas Heiniger, président d’Aide et soins à domicile Suisse. Photo: Patrick Gutenberg

Pourquoi les soins aigus et de transition (SAT) ne prennent-ils pas leur envol?
En 2011, les soins aigus et de transition (SAT) ont été introduits dans le cadre du nouveau régime de financement des soins, afin de couvrir un besoin de suivi jusqu’à 14 jours après un séjour à l’hôpital. Les SAT, étant financés par le canton et les pouvoirs publics comme les frais hospitaliers, doivent être prescrits par le corps médical à l’hôpital et peuvent être effectués par des prestataires de soins ambulatoires ou stationnaires. Or, selon les rapports de l’Office fédéral de la statistique (OFS), cela ne se produit pratiquement jamais. «Les SAT sont trop artificiels et rendent le système de santé encore plus compliqué. Je pense qu’ils pourraient être supprimés avec l’introduction d’EFAS», déclare Thomas Heiniger. L’OFSP se penche actuellement sur la révision des SAT, qui est également discutée par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N). Regine Sauter espère que la limitation des SAT à deux semaines sera supprimée. «C’est en effet trop court pour des soins aigus et de transition utiles», dit-elle. Aide et soins à domicile Suisse a également expliqué à l’OFSP qu’il ne serait judicieux de poursuivre les SAT que si leur durée maximale était prolongée. 3

Quels sont les obstacles à la coopération entre l’aide et les soins à domicile et les hôpitaux?
Selon Regine Sauter, la transition entre l’hôpital et l’aide et les soins à domicile doit être «un processus sans frictions ni interfaces difficiles, dans lequel toutes les parties concernées travaillent main dans la main». Même si, en de nombreux endroits, l’ASD et les hôpitaux coopèrent d’égal à égal (voir à ce sujet les articles Compétences et intensité d’une hospitalisation, à domicile et Six exemples de collaborations entre hôpitaux et Aide et soins à domicile), une telle coopération ne semble pas fonctionner partout. «Cela s’explique probablement aussi par des raisons historiques: La pensée en silo ou ‹chacun pour soi› des différents fournisseurs de prestations a longtemps été cultivée dans notre système de santé. Un changement de culture s’impose», explique Thomas Heiniger. Le système de santé doit prendre en compte l’ensemble du parcours de soins et développer une approche commune des prestations plutôt que par prestataire. Pour y parvenir, une meilleure compréhension mutuelle entre les différents prestataires est indispensable. Regine Sauter approuve. «Nous avons besoin d’un système intégré et global», dit-elle. Le manque d’interopérabilité des systèmes est souvent un obstacle à la coopération. «Les systèmes intégrés nécessitent également des plateformes d’information communes. Aujourd’hui, les systèmes respectifs, souvent non congruents, conduisent à des processus très inefficaces», critique-t-elle.

Comment optimiser les sorties d’hôpital?
«La réduction du nombre de lits d’hôpitaux, le principe ‹l’ambulatoire avant le stationnaire› et les DRG encouragent aujourd’hui systématiquement les sorties d’hôpital les plus précoces possibles», explique Thomas Heiniger. «Les sorties ne sont néanmoins pas trop hâtives. Les hôpitaux assument leur responsabilité envers leurs patientes et leurs patients», précise Regine Sauter. Cependant, plusieurs organisations d’aide et de soins à domicile critiquent les processus de sortie des hôpitaux, en particulier parce qu’elles ont souvent lieu à très court terme. Cela représente un défi considérable pour l’ASD, mise sous pression de surcroît par la pénurie de personnel. «Pour cette raison, nous avons besoin partout d’une bonne gestion des sorties qui commence déjà avant ou au plus tard lors de l’entrée à l’hôpital», souligne Thomas Heiniger. En contrepartie, l’ASD doit communiquer ouvertement lorsqu’elle n’a pas de capacité d’accueil, ajoute-t-il. «Les interruptions de prise en charge doivent être autorisées malgré l’obligation de soins, pour les hôpitaux et l’ASD», dit-il. Selon Regine Sauter, en plus d’une collaboration prévoyante autour des sorties d’hôpital, des conditions techniques sont aussi nécessaires. «Il serait indispensable d’introduire à grande échelle le dossier électronique du patient. Tous les fournisseurs de prestations pourraient y noter ce dont une patiente ou un patient a besoin», explique-t-elle. Regine Sauter et Thomas Heiniger saluent également les nouveaux profils professionnels qui organisent et optimisent la transition entre l’hôpital et l’aide et les soins à domicile – notamment les infirmières et infirmiers de pratique avancée APN ou les «infirmières et infirmiers de liaison» (voir Comment les expertes et experts en soins infirmiers veillent à une meilleure qualité et Compétences et intensité d’une hospitalisation, à domicile).

Un autre défi fréquent pour l’ASD est le manque d’informations à la sortie de l’hôpital, spécifiquement en ce qui concerne la médication (voir Pour une meilleure sécurité de la médication: collaborer de manière interprofessionnelle.). Afin d’améliorer l’échange d’informations à l’interface, différents outils de communication ont déjà été développés, comme OPAN Spitex (www.opanspitex.ch), le plan eMedi (www.emediplan.ch) et le dossier électronique du patient (DEP; www.dossierpatient.ch). «Le fait que l’échange d’informations fonctionne à l’avenir via un instrument comme le DEP est d’une importance capitale, particulièrement en ce qui concerne la sécurité de la médication», souligne Regine Sauter. «L’échange ne fonctionnera toutefois que si tous les prestataires de soins travaillent avec l’instrument. A ce titre, je suis convaincue qu’une obligation est nécessaire, au bénéfice de tous les participantes et les participants», ajoute-t-elle. «Je plaide également ici pour des bases légales qui définissent clairement et de manière contraignante un instrument uniforme et les processus correspondants», ajoute Thomas Heiniger.

Le transfert de l’hôpital vers l’aide et les soins à domicile se poursuit depuis longtemps
Esther Bättig est consciente depuis longtemps que le transfert des traitements hospitaliers vers le domicile des patientes et des patients se poursuit, grâce à une expérience de plusieurs décennies. En 1996, elle commence à travailler pour l’ASD de la ville de Lucerne en tant qu’infirmière diplômée et, depuis 2013, elle travaille pour Aide et soins à domicile Suisse dans le département Bases et développement, en se concentrant sur la qualité des soins et les processus. «Déjà lorsque je travaillais dans la pratique, les patientes et les patients sortaient de plus en plus tôt de l’hôpital. Aujourd’hui encore, ce processus se poursuit et s’accélère», explique-t-elle. De ce fait, les clientes et les clients de l’ASD sont de plus en plus jeunes, et l’ASD fournit davantage de soins aigus en plus des soins de longue durée. «Les cas de l’ASD deviennent donc aussi de plus en plus complexes sur le plan médical», rapporte Esther Bättig. «Les infirmières et infirmiers diplômés de l’ASD ef­fectuent par exemple des antibiothérapies et d’autres thérapies intraveineuses, as­su­rent les trans­fusions sanguines, aspirent les sécrétions et sont extrêmement spécialisés dans les soins palliatifs et les soins de plaies», énumère-t-elle. Les caisses d’assurance-maladie ne remboursent toutefois plus depuis longtemps ces soins complexes de manière appropriée – et les financeurs résiduels ne sont pas prêts à prendre le relais. En ce qui concerne les développements «de l’hôpital vers l’aide et les soins à domicile», Esther Bättig a trois souhaits: «Premièrement, je souhaite que l’on reconnaisse enfin par­tout que l’ASD peut prendre en charge des cas extrêmement complexes dans le domaine des soins aigus et de longue durée, et qu’elle le fait», dit-elle. Deuxièmement, l’ASD doit être financée de manière adéquate pour toutes ces prestations complexes. Et troisièmement, l’ASD, grâce à sa grande expertise et expérience dans l’évaluation globale des besoins et les soins à domicile, devrait être impliquée dès le début dans les projets qui visent à transférer davantage les traitements hospitaliers au domicile des personnes concernées.»

Que comprend «Hospital at Home»?
Le terme «Hospital at Home» (ou «Hospital@Home») vient des Etats-Unis et désigne le procédé par lequel le personnel hospitalier prend en charge des patientes et des patients à domicile. En Suisse aussi, on entend parler depuis quelques années de «Hospital at Home». L’hôpital Zollikerberg ZH a lancé «Visit – l’hôpital Zollikerberg à domicile» (voir encadé). La clinique d’Arlesheim BS a annoncé en avril 2023 qu’elle traiterait également les patientes et les patients à domicile dans le cadre d’un essai pilote (www.klinik-arlesheim.ch). Et la société «Hospital at Home AG», fondée en 2022, met en place une plateforme sur ce thème pour l’agglomération de Zurich (https://www.hospitalathome.ch/). A Genève et dans le canton de Vaud, des projets d’«hospitalisation à domicile» ont été développés en collaboration avec l’ASD (cf. Compétences et intensité d’une hospitalisation, à domicile). «Les hôpitaux tiennent compte des besoins des patientes et des patients qui préfèrent être chez eux plutôt qu’à l’hôpital», explique Regine Sauter. 

Le terme «Hospital at Home» est en fait une contradiction, ajoute Thomas Heiniger. «Les prestations à domicile des patientes et des patients n’ont de fait pas lieu à l’hôpital. Un terme comme ‹Patient at Home› serait donc plus approprié.» L’évolution actuelle ne signifie rien d’autre que la poursuite de «l’ambulantisation» qui a lieu depuis des décennies. «Plus précisément, les patientes et les patients peuvent sortir encore plus tôt du cadre hospitalier grâce à un soutien technique, médical et infirmier à domicile», dit-il. Cela correspond à la définition du rapport Deloitte «Hospital at Home, un modèle d’avenir» de 2022 4. Selon ce rapport, «Hospital at Home» représente «une extension des soins à domicile courants: Les patientes et les patients souffrant d’une maladie nécessitant habituellement une hospitalisation sont traités dans leur environnement familial.» Les éléments importants de l’offre seraient entre autres une surveillance 24h/24 et 7j/7 des patientes et des patients par des capteurs, une prise en charge (télémédicale) par des médecins et des visites du personnel soignant spécialisé. Selon le rapport, on ne sait toutefois pas comment «Hospital at Home» pourra être financé. «Si EFAS est réalisé, la réponse à cette question sera plus simple. Aujourd’hui, elle ne l’est pas, car une prestation ambulatoire est fournie par un fournisseur de prestations stationnaire», explique Thomas Heiniger. Pour clarifier durablement le financement des projets «Hospital at Home», la collaboration de tous les organismes de financement est nécessaire, a expliqué Manuela Schär de la communauté d’achat HSK (Helsana, Sanitas et CPT) lors d’une conférence en 2022 (cf. Magazine Aide et soins à domicile 3/2022).

Les soins de santé doivent évoluer d’institutions fonctionnant indépendamment les unes des autres vers des prestations intégrées.

Regine Sauter

Présidente d’H + Les Hôpitaux de Suisse

Comment l’ASD doit-elle être impliquée dans «Hospital at Home»? 
Regine Sauter considère «Hospital at Home» comme une opportunité de rendre la transition entre l’hôpital et l’aide et les soins à domicile plus fluide. «Le transfert des patientes et des patients du personnel hospitalier à l’ASD devrait avoir lieu lorsque la patiente ou le patient n’a plus besoin d’un traitement hospitalier approprié», explique-t-elle et assure: «Aucun hôpital n’a intérêt à prendre en charge longtemps les soins à domicile. Ceux-ci sont en effet plus coûteux pour les hôpitaux que le traitement à l’hôpital.»

«Nous avons besoin d’équipes mobiles et interprofessionnelles pour un traitement à domicile équivalent à celui de l’hôpital. Dans ce contexte, il convient d’examiner qui, dans cette équipe, est le mieux placé pour fournir telle ou telle prestation», déclare entre-temps Thomas Heiniger. «Il peut être judicieux que des médecins spécialisés d’un hôpital s’occupent des
patientes et des patients à domicile pendant la phase aiguë. Cela n’a en revanche pas beaucoup de sens que le personnel soignant de l’hôpital soit formé pour les soins à domicile si l’on peut faire appel au personnel soignant de l’aide et des soins à domicile. L’ASD possède une grande expérience et expertise dans les soins à domicile et peut depuis longtemps prendre en charge des cas extrêmement complexes (voir l’encadré). De plus, l’ASD maîtrise les spécificités des soins à domicile comme le maintien de l’hygiène dans les situations les plus diverses, l’implication de l’entourage, le travail sans équipe hospitalière ou encore la promotion de l’autodétermination de la clientèle. «Une collaboration entre l’aide et les soins à domicile et l’hôpital est donc indispensable dans les projets dits ‹Hospital at Home›, également dans l’optique de soins intégrés et d’une utilisation efficace des ressources humaines», souligne-t-il. 

Le rapport Deloitte suggère que des projets «Hospital at Home» soient lancés en étroite collaboration avec de nombreux fournisseurs de prestations afin de clarifier les questions en suspens. «Nous devons évaluer tous les projets de manière ouverte et objective. C’est la seule façon de déterminer s’ils apportent réellement une valeur ajoutée à toutes les parties concernées et comment le modèle peut être optimisé», confirme Regine Sauter. Thomas Heiniger assure que l’ASD participe volontiers à de tels projets pilotes. «Il est toutefois important à cet égard que l’ASD soit enfin rémunérée de manière adéquate pour les prestations complexes fournies à domicile. Car actuellement, le financement des soins ne couvre plus la complexité des prestations et le travail de notre personnel soignant hautement spécialisé», critique-t-il. Par exemple, de nombreuses caisses d’assurance maladie ne remboursent pas les frais d’organisation et d’entretien des appareils médicaux par l’ASD et les interventions multiples par jour ou par nuit ne peuvent souvent pas être facturées. «Toutes ces prestations sont pourtant essentielles à la progression de l’ambulatoire dans le secteur de la santé. C’est pourquoi les politiques doivent veiller à ce que l’ASD soit à ce titre enfin correctement rémunérée», dit-il. «Dans le domaine de la santé, l’efficacité, l’adéquation et l’économicité des prestations devraient décider si une prestation doit être financée – et non pas qui la réalise.» 

Quelles seront les caractéristiques de la coopération entre l’aide et les soins à domicile et les hôpitaux à l’avenir?
Les futurologues, comme Regine Sauter et Thomas Heiniger, s’accordent à dire que des thèmes comme la télémédecine, la robotique et l’intelligence artificielle vont marquer la médecine et les soins à l’avenir. Mais comment la coopération entre les hôpitaux et l’aide et les soins à domicile va-t-elle changer? La présidente de H+ est convaincue que «les soins de santé doivent évoluer d’institutions fonctionnant indépendamment les unes des autres vers des prestations intégrées». A l’avenir, l’aide et les soins à domicile et les hôpitaux seront donc deux parties de réseaux intégrés, économes en ressources et axés sur la patiente ou le patient, dont un hôpital pourrait être le centre. 

«Je plaide également pour de tels réseaux. En revanche, je souhaite qu’ils soient centrés sur une maison de santé plutôt que sur un hôpital», ajoute Thomas Heiniger. «Aujourd’hui, notre système de santé se concentre sur le traitement des maladies. A l’avenir, il devrait être davantage focalisé sur la préservation et la promotion de notre bien le plus précieux: la santé.»

Texte : Kathrin Morf

1 La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) discute actuellement du projet. Le site www.parlament.ch fournit des informations sur les délibérations en cours.

2 Le dossier Aide et soins à domicile et les données» fera l’objet d’un article dans le «Magazine Aide et soins à domicile» 5/2023.

3 Voir également le rapport final «Soins aigus et de transition» demandé par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP; 2022). Le site www.parlament.ch rend compte de la poursuite du débat autour d’EFAS et des SAT, de même que le «Magazine Aide et soins à domicile».

4 www.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ch/Documents/
public-sector/deloitte-ch-de-hospital-at-home-1.pdf

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