L’ASD soigne aussi la psyché

KATHRIN MORF. L’Aide et soins à domicile fournit de plus en plus de soins psychiatriques professionnels. Esther Indermaur, spécialiste des soins psychiatriques à l’Aide et soins à domicile (ASD), et Ruth Hagen, collaboratrice scientifique chez Aide et soins à domicile Suisse, discutent des joies et des défis de cette évolution.

Ce dessin montre ce que font entre autres les soins psychiatriques: permettre aux malades d’oser à nouveau faire le pas vers l’extérieur et de pouvoir ainsi fonctionner au quotidien. Illustration: Archiv/Karin Widmer

Comment les soins psychiatriques de l’ASD ont-ils évolué?
KATHRIN MORF. Selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), de plus en plus de personnes ont besoin de prestations du réseau de soins psychiatriques de leur région. Or, les cliniques, les psychiatres et les psychothérapeutes sont souvent surchargés. Il est donc d’autant plus important, selon la Confédération, de développer les soins psychiatriques à domicile. Pourtant, en 2002 encore, une étude 1 montrait que les soins psychiatriques de l’ASD étaient peu visibles et sous-estimés (voir «Magazine Aide et soins à domicile» 6/2019). «Depuis lors, de nombreuses organisations d’aide et de soins à domicile ont créé ou développé une offre en soins psychiatriques», explique Ruth Hagen, collaboratrice scientifique au sein du département Bases et développement d’Aide et soins à domicile Suisse. «Néanmoins, la demande dépasse souvent encore l’offre, en particulier dans les soins psychiatriques pour enfants, adolescentes et adolescents». Cette observation va dans le sens de la déclaration de l’Observatoire suisse de la santé (OBSAN) selon laquelle l’augmentation des maladies psychiques est particulièrement forte chez les enfants, adolescentes et adolescents – et la pandémie de Covid-19 a encore renforcé cette évolution. 2

Selon Ruth Hagen, l’ASD a non seulement développé ses soins psychiatriques ces dernières années mais les a également professionnalisés. Et cela est de plus en plus reconnu dans le secteur de la santé. «Le fait que l’ASD recoure de plus en plus à du personnel infirmier psychiatrique hautement spécialisé est une bonne tendance. Ni la direction ni les financeurs d’une organisation d’aide et de soins à domicile ne doivent penser que le personnel soignant somatique peut fournir ‹accessoirement› des soins psychiatriques professionnels», affirme Esther Indermaur. L’infirmière de pratique avancée MScN est une infirmière expérimentée, autrice et conférencière sur le thème des soins psychiatriques. Depuis 2021, elle est en outre responsable des prestations ambulatoires chez Thurvita AG à Wil SG.

La demande dépasse souvent l’offre, en particulier dans les soins psychiatriques pour enfants, adolescentes et adolescents.

Ruth Hagen

Collaboratrice scientifique, Aide et soins à domicile Suisse

Que comprennent les soins psychiatriques de l’ASD?
Si les soins psychiatriques à domicile sont prescrits par une ou un médecin, l’ASD procède à une évaluation des besoins. Cette évaluation se fait généralement à l’aide de l’instrument interRAI Community Mental Health (CMH)Suisse, lancé en 2020 par Aide et soins à domicile Suisse. Ses quelque 300 items permettent notamment d’évaluer le stress et les traumatismes, l’état mental, les capacités cognitives ainsi que l’environnement de vie des personnes souffrant de maladies psychiques (www.spitex-bedarfsabklärung.ch). Selon Esther Indermaur, les infirmières et infirmiers ont en outre besoin d’une grande expérience et de formations ciblées pour pouvoir vraiment saisir et analyser la situation des personnes concernées dans sa globalité. «Sur la base de l’évaluation des besoins, l’infirmière ou l’infirmier réfléchit ensuite avec la personne souffrant de maladie psychique à l’objectif du processus de soins et à la manière d’y travailler», poursuit-elle. Les collaboratrices et collaborateurs de l’ASD rendent ensuite régulièrement visite à leurs clientes et leurs clients – la plupart du temps avec des vêtements et des véhicules neutres. «Nous voulons certes lutter contre le tabou et la stigmatisation des maladies psychiques. Mais nous ne devons pas le faire sur le dos de notre clientèle et l’exposer à son voisinage», explique Esther Indermaur.

Pendant ses visites, le personnel infirmier psychiatrique apporte avant tout une «aide à l’entraide»: il soutient les personnes concernées dans le développement et l’exercice de stratégies d’adaptation et élabore avec elles des structures quotidiennes et hebdomadaires. Il s’occupe également de la gestion de la médication et veille à l’implication étroite de l’entourage. L’ASD permet aussi aux personnes souffrant de maladies psychiques de prendre soin d’elles-mêmes, de gé­rer leur ménage et d’entretenir des contacts sociaux. «Il est par ailleurs essentiel que l’ASD coopère étroitement avec d’autres professionnels de la santé, travailleurs sociaux ou autorités impliqués», ajoute Esther Indermaur. L’Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS) subdivise toutes ces prestations en prestations A (conseil, évaluation des besoins et coordination), prestations B (prestations relatives à la médication et à la gestion des problèmes et des crises) et prestations C (p. ex. prestations relatives aux aptitudes quotidiennes, aux soins corporels, au ménage, à la structure de la journée et aux contacts sociaux). 3

Dans ce contexte, les soins de référence 4 revêtent une importance particulière. «Une grande partie du processus psychiatrique se déroule au niveau de la relation et de la confiance et toute interruption de la relation perturbe fortement le processus de travail», explique Esther Indermaur. Elle garantit les soins de référence dans son équipe de psychiatrie grâce à un modèle d’autogestion: chaque infirmière et infirmier psychiatrique de formation tertiaire 5 est responsable d’un certain nombre de clientes et clients et veille en personne à la planification de toutes ses interventions. Ce n’est que dans de rares cas particulièrement complexes que deux infirmières ou infirmiers se partagent les soins de référence. «Ce modèle correspond aux infirmières et infirmiers psychiatriques de l’ASD disposant d’un grand sens des responsabilités qu’ils aiment assumer», explique Esther Indermaur.

Les soins de référence ne signifient en aucun cas qu’une dépendance s’installe et que l’infirmière ou l’infirmier doit être joignable 24 heures sur 24. «Au contraire, les spécialistes donnent aux clientes et clients les moyens de surmonter les problèmes et les crises sans l’aide de l’ASD. Pour cela, un concept personnel d’urgence est également établi qui comprend notamment le contact avec un centre d’intervention de crise.» Enfin, Esther Indermaur conclut en précisant que promouvoir l’autonomie de la cliente ou du client dans ses soins fait aussi partie des tâches d’une infirmière ou infirmier psychiatrique. «Les infirmières et infirmiers doivent être capables de se démarquer et percevoir leurs clientes et leurs clients malgré leur maladie comme des personnes compétentes qui assument elles-mêmes la responsabilité de leur parcours.»

Même lorsque l’ASD documente et argumente de manière professionnelle, elle rencontre souvent des problèmes de facturation.

Ruth Hagen

Collaboratrice scientifique, Aide et soins à domicile Suisse


Quelles sont les qualifications requises pour le personnel des soins psychiatriques de l’ASD?
Depuis décembre 2021, les assistants en soins et santé communautaire (ASSC) et les assistants socio-éducatifs (ASE) peuvent s’inscrire au nouvel examen professionnel en soins psychiatriques et accompagnement. En mars 2023, les huit premiers «infirmières et infirmiers spécialisés en soins psychiatriques et accompagnement» ont obtenu leur brevet fédéral. Les ASSC disposant de compétences psychiatriques supplémentaires sont un atout pour l’ASD, explique Esther Indermaur qui a participé à la conception du nouvel examen professionnel. «Si une personne souffre par exemple d’une grave dépression et a besoin de soins somatiques, l’ASD peut faire appel à ces ASSC spécialisés.» En outre, les infirmières et infirmiers diplômés pourraient déléguer certaines prestations de soins psychiatriques C à des ASSC disposant d’une grande expérience ou d’une formation continue en soins psychiatriques. Mais pour les prestations A et B plus complexes, l’ASD a toujours besoin de personnel tertiaire.

Or, de nombreuses organisations d’aide et de soins à domicile éprouvent des difficultés à recruter suffisamment de personnel diplômé. Ruth Hagen espère que la situation sera améliorée par la promotion de la formation tertiaire dans les soins qui fait partie de la mise en œuvre de l’initiative sur les soins. «En outre, l’ASD doit montrer à tous les niveaux à quel point le champ d’application des infirmières et infirmiers psychiatriques est large et passionnant dans l’ASD», ajoute-t-elle. «Chaque organisation d’aide et de soins à domicile doit également offrir à ces spécialistes de bonnes conditions de travail», ajoute Esther Indermaur. «Cela implique de leur permettre de bénéficier des précieux échanges au sein de l’équipe psychiatrique. Si une organisation ne peut pas employer plusieurs spécialistes en psychiatrie, elle devrait alors mettre en place une équipe commune avec d’autres organisations.»

Chaque organisation doit permettre de bénéficier des précieux échanges au sein de l’équipe psychiatrique.

Esther Indermaur

Direction, Thurvita AG


Qui sont les clientes et les clients des soins psychiatriques de l’ASD?
Il n’existe pas de chiffres représentatifs sur la clientèle des soins psychiatriques dans l’ASD. C’est pourquoi une évaluation non représentative des données collectées par interRAI CMHSuisse et introduites dans le pool de données HomeCareData (HCD) a été effectuée pour environ 3000 clientes et clients. Il en est ressorti les tendances suivantes:

  • Sexe: Environ deux tiers des personnes prises en charge par l’ASD pour une maladie psychique sont des femmes. Cette répartition inégale entre les sexes se retrouve dans le monde entier pour les maladies psychiques. «Une répartition inhabituelle entre les sexes apparaît également dans les soins psychiatriques de l’ASD concernant le fait que, en pourcentage, plus d’hommes y travaillent que dans les soins somatiques», ajoute Ruth Hagen (voir à ce sujet le «Magazine Aide et soins à domicile» 2/2022).
  • Âge: Les clientes et les clients ont en moyenne environ 52 ans. Environ 3 % ont moins de 18 ans, 27 % ont de 18 à 39 ans, 35 % ont de 40 à 59 ans, 26 % ont de 60 à 79 ans et 8 % ont 80 ans ou plus. Cette répartition est différente de celle des soins somatiques où les plus de 60 ans représentent environ deux tiers. «Dans les soins psychiatriques, l’ASD soigne comparativement beaucoup de personnes qui travaillent, ce qui exige de sa part une grande flexibilité», explique Esther Indermaur.
  • Diagnostics: Environ 2000 cas pour lesquels un diagnostic a été noté dans interRAI CMHSuisse – ou plusieurs diagnostics, ce qui est fréquent – ont été évalués à cet effet. Plus de 60 % des personnes souffrent de dépression, y compris de troubles bipolaires. Viennent ensuite les addictions (17 %), les troubles anxieux et de panique (12 %), la schizophrénie et le stress post-traumatique (10 % chacun) ainsi que l’AD(H)S et le borderline (7 % chacun). La démence, les troubles alimentaires, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles de l’adaptation, les troubles de la douleur et l’agoraphobie, notamment, ont été notés à plusieurs reprises. Ont rarement été mentionnés, par exemple, le COVID long, un trouble de la somatisation ou un trouble persistant du deuil. «Un diagnostic ne dit toutefois pas à quel point une personne est affectée par les symptômes», fait remarquer Esther Indermaur. Une personne peut par exemple être atteinte de schizophrénie et malgré tous les préjugés bien fonctionner au quotidien. Pour le personnel soignant de l’ASD, le diagnostic est donc moins important que la question de savoir quels problèmes les personnes concernées rencontrent au quotidien.

Quel est le défi du financement des soins psychiatriques?
Le plus grand obstacle aux soins psychiatriques ambulatoires est le financement, a récemment déclaré Raymond Panchaud, une sommité des soins psychiatriques en Suisse romande, à «Soins infirmiers». Ruth Hagen le confirme: «Par exemple, les assureurs déclassent arbitrairement les prestations B en prestations C au bout de six mois. De plus, ils remettent souvent en question les prestations de soins psychiatriques de l’ASD qui est donc confrontée à de nombreux rejets», détaille-t-elle. Cela s’explique par le fait que les assureurs ont des connaissances plus ou moins approfondies sur le thème des maladies psychiques. Pour éviter les refus, l’essentiel pour l’ASD est de documenter les soins et d’expliquer soigneusement l’importance de chaque prestation de soins psychiatriques. «Même lorsque l’ASD documente et argumente de manière professionnelle, elle rencontre souvent des problèmes de facturation», explique Ruth Hagen.

Pour Esther Indermaur, le principal problème de financement réside dans le niveau de remboursement actuel des prestations psychiatriques. «Celui-ci ne couvre pas les frais du personnel spécialisé tertiaire, qui est pourtant absolument nécessaire dans les soins psychiatriques», explique-t-elle. Ruth Hagen ajoute que le taux est clairement trop bas, en particulier pour les prestations C: «L’OPAS repose sur l’idée que les prestations C peuvent être exécutées par du personnel au bénéfice d’une formation secondaire. Or, dans les soins psychiatriques, ce n’est souvent pas possible. A titre d’illustration, les soins corporels des clientes et clients fortement traumatisés et instables peuvent être si exigeants qu’ils nécessitent l’intervention de personnel diplômé.» Ruth Hagen et Esther Indermaur souhaitent par conséquent une augmentation de la rémunération – ou même un nouveau système de facturation capable de représenter les soins psychiatriques de manière adéquate.

«Même avec la législation actuelle, il ne doit pas y avoir de discrimination des soins psychiatriques par rapport aux soins somatiques. Plusieurs arrêts du Tribunal fédéral l’ont clairement démontré», souligne Ruth Hagen. L’OFSP l’a confirmé en 2022 dans une lettre adressée à Aide et soins à domicile Suisse. Les arrêts auraient reconnu «le même droit aux soins extra-hospitaliers pour les personnes souffrant de maladies psychiques que pour les personnes souffrant de maladies physiques». Les prestations de soins psychiatriques énumérées dans l’OPAS devraient donc en principe être remboursées pour autant qu’il y ait une prescription médicale. Selon l’OFSP, les assureurs n’ont par exemple pas le droit de remettre en question l’efficacité, l’adéquation et l’économicité (critères EAE) d’une prestation de soins psychiatriques en principe – plutôt que dans un cas particulier. Pour cela, les assureurs devraient déposer auprès de l’OFSP une demande de «clarification du caractère controversé de la prestation».

Il ne doit pas y avoir de discrimination des soins psychiatriques par rapport aux soins somatiques.
Plusieurs arrêts du Tribunal fédéral l’ont démontré.

Ruth Hagen

Collaboratrice scientifique, Aide et soins à domicile Suisse

Comment distinguer la thérapie psychiatrique des soins?
Selon Ruth Hagen, un autre problème de facturation est que les assurances maladie refusent souvent de payer une prestation d’aide et de soins à domicile parce qu’elles la classent comme thérapie plutôt que comme soin. «Bien sûr, la panoplie méthodologique de l’ASD est chargée de différentes compétences qui sont également utilisées dans le cadre thérapeutique, notamment des compétences d’entretien comme le ’Motivational Interviewing’», explique Esther Indermaur à ce sujet. Les soins psychiatriques poursuivent toutefois un autre objectif que les spécialistes thérapeutiques qui se concentrent sur le diagnostic et donc sur les origines de tous les symptômes. «En revanche, nous, infirmières et infirmiers, travaillons surtout sur les effets de la maladie dans le quotidien des personnes concernées», explique-t-elle. «Nous œuvrons à ce qu’elles puissent à nouveau fonctionner de manière autonome malgré la maladie et à ce que leur quotidien ait un sens, soit satisfaisant et sûr.» Par exemple, les collaboratrices et les collaborateurs de l’ASD pourraient travailler avec une cliente ou un client afin qu’il puisse à nouveau dormir malgré les voix dans sa tête; ou avec une cliente souffrant de dépendance pour qu’elle retrouve le contrôle de son emploi du temps. «Bien sûr, le travail du personnel infirmier et des thérapeutes se chevauche parfois», reconnaît Esther Indermaur. «Il est d’autant plus important que la coopération de tous les prestataires de soins psychiatriques soit étroite et financée de
manière appropriée.»

Enfin, Esther Indermaur souhaite encore deux adaptations concernant la possibilité de facturer les soins psychiatriques: «Les offres de groupe doivent aussi relever à l’avenir des prestations psychiatriques de l’OPAS, car l’effet de ces offres est prouvé par des études», dit-elle. «Et si les clientes et les clients souffrant de maladies psychiques sont hébergés dans un établissement stationnaire, l’ASD devrait pouvoir poursuivre leurs entretiens avec eux et les facturer dans cet établissement. Sinon, la relation de confiance soigneusement établie est menacée.»

Les infirmières et infirmiers travaillent surtout sur les effets de la maladie dans le quotidien.

Esther Indermaur

Direction, Thurvita AG

Quels sont les défis particuliers des soins psychiatriques aux enfants et aux adolescents?
Les soins psychiatriques des enfants, adolescentes et adolescents comportent des défis particuliers, explique Esther Indermaur. L’implication et la prise en charge du système familial sont ici particulièrement importantes. S’y ajoutent de nouveaux thèmes comme l’éducation, le développement cérébral et la médication des adolescents ou l’interface avec la pédagogie sociale. «Chaque organisation d’aide et de soins à domicile doit bien réfléchir pour savoir si elle dispose des compétences et des ressources nécessaires pour proposer des soins psychiatriques à tous les enfants, adolescentes et adolescents – ou pas, ou seulement à une certaine sélection de groupes d’âge ou de diagnostics», explique l’experte en soins.

Parmi les 84 clientes et clients de 4 à 18 ans dont les données ont été saisies avec interRAI CMHSuisse, les diagnosticsd’autisme/Asperger (63 %) et d’AD(H)S (18 %) sont particulièrement fréquents. «Les organisations de soins pédiatriques à domicile soignent de nombreux enfants et adolescents souffrant d’infirmités congénitales», confirme Ruth Hagen. «Mais la demande de soins psychiatriques pour des diagnostics tels que les troubles alimentaires, les troubles anxieux ou les dépressions ne cesse d’augmenter. Aussi parce que de plus en plus d’offres semi-stationnaires et stationnaires sont fermées dans ce domaine.» De nombreuses organisations d’aide et de soins à domicile, et en particulier les organisations de soins pédiatriques à domicile souhaitent donc introduire ou développer une offre psychiatrique – mais elles ne trouvent souvent pas suffisamment de personnel spécialisé formé en pédiatrie et en psychiatrie (voir «Magazine Aide et soins à domicile» 1/2023). De plus, le financement de telles offres est particulièrement déficient, comme le soulignent Ruth Hagen et Esther Indermaur. Par exemple, les prestations éducatives des infirmiers et infirmières ou leur travail approfondi avec le système familial seraient souvent insuffisamment financés par les caisses d’assurance maladie.

Pour changer cette situation, il faudrait améliorer la compréhension de certains assureurs pour les prestations de soins psychiatriques de l’ASD et des soins pédiatriques à domicile, explique Ruth Hagen. Actuellement l’association Soins pédiatriques à domicile Suisse, qui est membre d’Aide et soins à domicile Suisse, élabore un document de base sur les prestations psychiatriques pour enfants, adolescentes et adolescents de l’Aide et soins à domicile. «Sur cette base, Aide et soins à domicile Suisse, en collaboration avec des représentantes de l’association Soins pédiatriques à domicile Suisse, organisera une rencontre avec les contrôleurs des associations d’assureurs et, espérons-le, améliorera la compréhension mutuelle», explique Ruth Hagen. En collaboration avec l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), Aide et soins à domicile Suisse souhaite bientôt suivre la même voie en ce qui concerne les soins psychiatriques pour adultes. «Les contrôleurs des assureurs nous ont signalé qu’ils avaient compris la nécessité d’un tel échange et qu’ils étaient prêts à le faire.»

Pourquoi l’admission à l’évaluation des besoins est-elle un défi?
L’OPAS stipule que seuls les infirmières et infirmiers diplômés disposant de deux ans d’expérience professionnelle dans le domaine psychiatrique sont admis à l’évaluation des besoins en soins psychiatriques. Actuellement, cette admission est notamment examinée par le bureau «BEPSY» de santésuisse. «Malheureusement, cet examen englobe toutefois bien plus que ce que la loi exige. Par exemple, les engagements à moins de 50 pour cent de poste ou les formations continues ne sont pas reconnus comme faisant partie des deux ans d’expérience professionnelle», critique Ruth Hagen. Esther Indermaur est membre de la commission de psychiatrie de l’ASI qui s’engage pour un examen d’admission plus simple. Curacasa, l’association professionnelle des infirmières et infirmiers indépendants de l’ASI, a par ailleurs créé son propre organe d’examen: APsy. «Au vu du grand besoin en personnel psychiatrique spécialisé dans l’ASD, nous devons absolument supprimer cet obstacle inutile et coûteux», exige Esther Indermaur. «Aide et soins à domicile Suisse va en outre s’adresser à la Confédération pour savoir s’il est vraiment de la compétence des assureurs d’examiner l’admission du personnel de l’aide et des soins à domicile», ajoute Ruth Hagen. 6

Aucune organisation d’aide et de soins à domicile ne pourra se passer totalement de connaissances psychiatriques.

Esther Indermaur

Direction, Thurvita AG

Quels sont les critères d’exclusion de l’offre de soins psychiatriques à domicile?
Selon Esther Indermaur, un critère d’exclusion pour les soins psychiatriques de l’ASD est le fait qu’une personne ne puisse pas assumer suffisamment de responsabilités pour elle-même. «S’il y a une mise en danger aiguë de soi ou d’autrui, l’ASD doit refuser un cas», dit-elle. Et si le danger se présente à nouveau, l’ASD doit informer l’APEA ou une spécialiste en psychiatrie compétent. Les personnes extérieures pourraient penser que les pensées suicidaires constituent une mise en danger aiguë de soi-même. «Ce n’est pas toujours vrai», contredit Esther Indermaur. «La question est ici de savoir à quel point ces pensées incitent à l’action et si les personnes concernées peuvent demander de l’aide en cas de projet suicidaire concret.» Dans les cas de risque suicidaire élevé, l’ASD devrait toutefois systématiquement faire appel à des spécialistes externes afin de ne pas assumer seuls l’évaluation du risque suicidaire (voir article sur ASSIP HT et SERO).

Certaines organisations d’aide et de soins à domicile énumèrent également sur leur site Internet le manque de coopération et de concertation comme critères d’exclusion. «Au début surtout, il se peut très bien que l’ASD ne soit pas autorisée à entrer dans le logement d’une personne souffrant d’une maladie psychique lors de la majorité des visites prévues. Et les caisses d’assurance maladie ne financent pas les tentatives infructueuses. Pour que l’ASD puisse prendre en charge de tels cas, le financeur résiduel doit intervenir ici», explique Esther Indermaur. Enfin, un autre critère d’exclusion est que, selon le Tribunal fédéral, 7 l’ASD ne peut facturer des soins psychiatriques que s’il existe un diagnostic psychiatrique actuel. «Malheureusement, le diagnostic d’un médecin de famille ne suffit donc pas pour une orientation vers l’ASD. Or, les délais d’attente des spécialistes en psychiatrie peuvent être très longs, et aller chez le psychiatre représente un obstacle majeur pour de nombreuses personnes», fait remarquer Ruth Hagen.

«Les soins psychiatriques de l’ASD devraient être mieux rémunérés pour les prestations préventives», demande Esther Indermaur. La solitude n’est par exemple pas un diagnostic F, c’est-à-dire une maladie psychique selon la classification internationale des maladies CIM (classification internationale des maladies). Les soins psychiatriques pourraient toutefois faire beaucoup pour les personnes seules. «La promotion de la participation sociale au sens d’activités communes est souvent perçue comme utile à court terme par les personnes seules et ne doit pas être effectuée dans tous les cas par un professionnel», reconnaît-elle. «Mais pour les personnes isolées, ce qui est efficace à long terme, ce sont les modifications des croyances socio-cognitives – et pour y parvenir, il faut des connaissances techniques spécifiques.»

Comment fonctionne l’interaction avec les offres ambulatoires des fournisseurs de prestations stationnaires?
En psychiatrie, une étroite coopération d’égal à égal entre l’ASD et les fournisseurs de prestations stationnaires est extrêmement importante – en particulier lors des transitions délicates (voir l’article sur le traitement transitoire post-stationnaire). Par analogie avec la tendance «Hospital at Home» dans les soins somatiques (voir «Magazine Aide et soins à domicile» 3/2023), ces prestataires stationnaires sont désormais de plus en plus actifs dans les soins psychiatriques à domicile. Plus précisément, ils proposent des soins aigus «équivalents à ceux d’une hospitalisation» dans l’environnement familier des personnes concernées. Ces soins sont rendus possibles par les visites fréquentes à domicile du personnel soignant et thérapeutique de la clinique ainsi que par leur disponibilité 24 heures sur 24.

Les exemples sont le «Home Treatment» à Zurich ou le «Psychiatrische Akutbehandlung zu Hause» à Lucerne et à Berne. Selon le «Bulletin des médecins suisses», un financement par forfaits journaliers s’est imposé pour la plupart des offres établies de «home treatment». 8 Ruth Hagen est en principe favorable à ces soins aigus à domicile. «Dans l’esprit d’une bonne prise en charge intégrée, une bonne collaboration et concertation avec l’ASD sont toujours nécessaires», demande-t-elle. Selon Esther Indermaur, le «home treatment» doit en outre comprendre systématiquement un plan «sur la manière dont les patientes et les patients sont accompagnés lorsque les soins intensifs 24 heures sur 24 cessent et se transforment en visites hebdomadaires de l’ASD».

En outre, selon Ruth Hagen, les assureurs doivent veiller à traiter les prestataires de la même manière pour des prestations identiques. «Il n’est pas acceptable que le personnel infirmier psychiatrique reçoive sans problème des forfaits horaires pour des prestations de la part de prestataires stationnaires, alors que l’ASD doit énumérer et justifier en détail les mêmes prestations», dit-elle.

L’ASD peut-elle se passer de soins psychiatriques?
La littérature spécialisée s’accorde à dire que la demande en prestations psychiatriques ambulatoires va continuer à augmenter. C’est pourquoi des approches innovantes comme les téléconsultations sont tout autant demandées que d’autres prestataires. «L’ASD joue un rôle central dans la santé ambulatoire. Pour cette raison, elle doit participer à la maîtrise de ce défi central et croissant», explique Ruth Hagen. Mais chaque organisation d’aide et de soins à domicile n’est pas obligée de mettre en place elle-même une équipe de psychiatrie – elle peut aussi coopérer avec le réseau psychiatrique de la région. C’est ainsi que les petites organisations d’aide et de soins à domicile concluent souvent des contrats de prestations avec une autre organisation ambulatoire ou stationnaire qui réalise les prestations psychiatriques pour elles (voir article p.20). «Mais aucune organisation d’aide et de soins à domicile ne pourra se passer totalement de connaissances psychiatriques», objecte Esther Indermaur. En effet, selon l’étude de l’ASD de 2002, 43 pour cent des clientes et clients des soins somatiques souffrent également d’une maladie psychique. Des chiffres plus récents sur ce sujet seront disponibles lorsqu’Esther Indermaur publiera sa thèse de doctorat. 9 «Pour qu’une organisation d’aide et de soins à domicile puisse fournir des soins et un soutien de qualité à ces personnes, elle doit pouvoir s’appuyer sur des connaissances psychiatriques spécialisées au sein de sa propre entreprise», affirme-t-elle avec conviction.

Les infirmières et infirmiers en santé mentale peuvent travailler de manière très autonome dans l’ASD.

Ruth Hagen

Collaboratrice scientifique, Aide et soins à domicile Suisse

Quelles sont les joies des soins psychiatriques dans l’ASD?
Malgré tous les défis, les joies des soins psychiatriques à domicile l’emportent de loin, selon Ruth Hagen et Esther Indermaur. «Les infirmières et infirmiers en santé mentale peuvent travailler de manière très autonome dans l’ASD et permettre aux personnes souffrant de maladies psychiques de vivre chez elles», explique Ruth Hagen. «De plus, les spécialistes de l’ASD peuvent établir de longues et précieuses relations avec leurs clientes et clients et collaborer étroitement avec eux», ajoute Esther Indermaur. «Et ils peuvent partager avec eux des victoires et des réussites. Pour le personnel infirmier en psychiatrie, il est par exemple extrêmement gratifiant qu’une ou un client puisse un jour lui dire: Je n’ai plus besoin de vous maintenant.»

1L’étude a été menée en 2002 auprès de 23 organisations d’aide et de soins à domicile. Voir par ex. «Problèmes psychiatriques chez la clientèle de l’ASD» de Regula Lüthi et Christoph Abder­halden dans «Managed Care» 5/2004.

2Voir le bulletin OBSAN 1/2023

3Une liste plus précise des prestations A, B et C se trouve dans l’OPAS ainsi que dans le catalogue des prestations d’Aide et
soins à domicile Suisse sous www.spitex-bedarfsabklaerung.ch/
Evaluation-des-besoins/Formulaire-complementaire/Catalogue-
des-prestations/


4Les soins de référence signifient que les soins d’une cliente ou d’un client sont dispensés par un seul infirmier ou infirmière ou par un nombre très limité d’infirmières et infirmiers, plutôt que par de nombreux collaborateurs et collaboratrices qui se relaient.

5Dans le domaine des soins psychiatriques, une formation tertiaire signifie au moins des études ES achevées – avec spécialisation en psychiatrie ou suivies d’une formation continue, par exemple un CAS en soins psychiatriques.

6Le «Magazine Aide et soins à domicile» reviendra ultérieurement plus en détail sur les développements relatifs au thème de l’évaluation des besoins en psychiatrie.

7L’arrêt du Tribunal fédéral de 2020 stipule que «pour ordonner des mesures de soins infirmiers (psychiatriques) ambulatoires, il est nécessaire de disposer d’une base fiable vérifiable sous la forme d’une enquête sur l’état psychiatrique actuel et d’un diagnostic compréhensibles.» Le Tribunal fédéral a traité le cas d’une cliente des soins à domicile qui avait suivi un traitement psychiatrique ambulatoire pour la dernière fois il y a plus de 10 ans. L’ancien diagnostic ne constituait pas une base suffisante pour une prescription par le médecin de famille.

8Voir article «Home Treatment – Intervention de crise à domicile», «Bulletin des médecins suisses» 2023, 104 (10).

9En collaboration avec Azra Karabegovic de l’ASD Zurich, Esther Indermaur prépare actuellement sa thèse de doctorat à l’Université du Liechtenstein sur le thème de la santé psychique des clientes et clients de l’ASD. La thèse de doctorat devrait être disponible au plus tard à l’été 2024. L’ouvrage spécialisé «Recoveryorientierte Pflege bei Suchterkrankungen» d’Esther Indermaur, paru en 2016 aux éditions Psychiatrie, est déjà disponible.

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