
Logistique des médicaments dans les organisations d’aide et de soins à domicile
Logistique des médicaments dans les organisations d’aide et de soins à domicile Les organisations d’aide et de soins à domicile sont de plus en plus impliquées dans la commande, l’acquisition et le stockage des médicaments de leurs clientes et clients, comblant ainsi une lacune importante dans la chaîne d’approvisionnement. En comparaison cantonale, les directives en la matière sont soit inexistantes, soit contradictoires. Cet article donne un aperçu de la situation juridique actuelle et des recommandations existantes.

NICOLE LÖTSCHER1, CHRISTOPH R. MEIER2, TANIA MARTINS3, FRANZISKA ZÚÑIGA4 et CARLA MEYER-MASSETTI5. Une enquête réalisée au premier semestre 2024 met en lumière la manière dont les organisations d’aide et de soins à domicile de Suisse alémanique gèrent la logistique des médicaments. Ce sondage en ligne, réalisé en allemand, a été mené au printemps 2024 auprès de 306 organisations d’aide et de soins à domicile à but non lucratif dans 20 cantons germanophones. Les entreprises à but lucratif ont été sollicitées via une liste de diffusion. Au total, les réponses de 105 organisations ont été prises en compte.
Lacune dans l’approvisionnement en médicaments
Le catalogue des prestations de l’Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS) ne prévoit pas l’implication des organisations d’aide et de soins à domicile dans la commande et l’approvisionnement des médicaments de leurs clientes et clients, et cette activité n’est pas non plus indemnisée. Pour diverses raisons, les clientes et clients ne sont pas toujours en mesure d’organiser eux-mêmes l’acquisition de leurs médicaments. La livraison par les services des pharmacies en ligne ou publiques n’est possible que si les médicaments peuvent être remis en main propre, ce qui n’est pas réalisable pour l’ensemble des clientes et clients. Déposer les médicaments dans une boîte aux lettres n’est donc pas une option, d’autant plus que les variations de température lors des journées particulièrement chaudes ou froides pourraient nuire à la qualité des médicaments. Dans ces cas-là, les organisations d’aide et de soins à domicile assurent la fourniture des produits médicaux, malgré une base d’indemnisation insuffisante. Dans près de 60% des organisations ayant participé à l’enquête, le personnel s’occupe au moins en partie du processus de commande, et la moitié indique que les médicaments sont livrés par la pharmacie à leur antenne. Par ailleurs, dans environ 60% des organisations, il arrive qu’un retrait auprès d’un cabinet médical ou d’une pharmacie soit également effectué.

Logistique des médicaments: commande, acquisition, livraison et contrôle à la réception
Les clientes et clients doivent pouvoir choisir où ils souhaitent se procurer leurs médicaments, sans influence liée à un avantage financier. Toutefois, certains participants à l’enquête signalent que cette règle n’est pas respectée par tous les cabinets médicaux. Une organisation d’aide et de soins à domicile peut en principe collaborer avec un point de remise et le recommander en priorité à ses clientes et clients. Il est toutefois conseillé de vérifier les réglementations cantonales. Par exemple, dans le canton
d’Argovie, toute influence sur le choix du point de remise est interdite, indépendamment de tout avantage financier.
La commande est effectuée le plus souvent via un formulaire envoyé par voie électronique, par téléphone ou par le biais d’un courriel rédigé librement. La société scientifique des soins à domicile AFG
Spitex Pflege recommande d’utiliser un formulaire standardisé, si possible par voie électronique (1). Un peu plus de 10% des organisations interrogées déclarent passer leurs commandes directement via le
système de gestion des patients. Cette pratique permet de réduire les erreurs lors du processus de commande et d’améliorer la sécurité des patientes et des patients. Il est également possible d’utiliser
un scanner de médicaments fixé directement sur une tablette pour la commande électronique.
Toutefois, seule une minorité d’organisations a adopté cette méthode.
L’Association suisse des pharmaciens cantonaux (APC) recommande un contrôle à la réception de tous les produits médicaux afin d’éviter d’éventuelles erreurs de livraison (2), une mesure appliquée par la
majorité des organisations interrogées. En ce qui concerne les stupéfiants, la base juridique est claire: leur réception doit être visée, et un contrôle à la réception des stupéfiants stockés de manière centralisée est obligatoire. Il est également recommandé de tenir une documentation complète des
entrées et sorties des produits stupéfiants (lors de la mise à disposition) au moyen d’un formulaire spécifique à chaque patiente et patient, même lorsque ceux-ci sont fournis au domicile des clientes et des clients.
Combler la lacune d’approvisionnement: stockage temporaire limité dans le temps
En raison des défis liés à la garantie d’un approvisionnement en médicaments en temps utile, plus de 70% des organisations interrogées déclarent stocker temporairement les médicaments sur site avant
de les livrer aux clientes et aux clients. Dans de tels cas, l’organisation d’aide et de soins à domicile doit garantir un stockage approprié. La durée du stockage temporaire est uniquement définie dans le canton de Bâle-Campagne par l’autorité compétente en matière de médicaments: un stockage de deux à trois jours est permis sans autorisation explicite. Cela correspond à la pratique des organisations interrogées. Dans le canton de Lucerne, le stockage temporaire est considéré comme un stockage centralisé, et chaque antenne d’aide et de soins à domicile doit obtenir une autorisation. Cela engendre des coûts, même si les médicaments ne sont stockés que pendant quelques heures. Cette exigence semble peu proportionnée, surtout si l’on considère que les médicaments seront ensuite stockés sans contrôle au domicile des clientes et clients. Cependant, l’accès aux médicaments doit aussi être régulé lors du
stockage temporaire: ils doivent être conservés dans une armoire fermée à clé, garantissant le respect des conditions de stockage. Selon l’enquête, cette pratique est suivie par la moitié des organisations.
Exigences pour le stockage centralisé permanent
En général, la législation mentionne peu le stockage des médicaments au sein des organisations d’aide et de soins à domicile. A l’exception du canton de Bâle-Campagne, qui mentionne dans la loi l’autorisation de stockage des médicaments dans les entreprises d’aide et de soins à domicile et met à disposition un formulaire de demande d’autorisation pour ces organisations (3). Dans les cantons de Bâle-Campagne, Berne, Lucerne et le Valais, le stockage centralisé est autorisé, parfois sous conditions, selon les pharmaciennes et pharmaciens cantonaux respectifs. En revanche, dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures, Schaffhouse, Saint-Gall, Thurgovie et Zurich, les organisations d’aide et de soins à domicile ne sont pas autorisées à stocker les médicaments de manière centralisée: l’absence de base légale est interprétée comme une interdiction implicite de cette pratique. Les autres cantons de Suisse alémanique ne prévoient pas de réglementation spécifique.
Dans la pratique, il s’avère toutefois impossible de renoncer entièrement à un stockage centralisé: près de 40% des organisations interrogées conservent au moins une partie des médicaments de leurs clientes et clients sur site. Outre les obstacles liés aux capacités cognitives et à la mobilité réduite, certaines personnes ne doivent pas avoir accès à leurs médicaments en raison d’un risque pour elles-mêmes ou pour autrui, ainsi que d’un potentiel de mésusage. Or, un coffre à médicaments verrouillable
ou un coffre-fort intégré ne suffit pas toujours à prévenir ces risques. Une remise contrôlée quotidienne des médicaments en pharmacie publique n’est envisageable que si la cliente ou le client accepte de coopérer. Lorsque ces alternatives ne sont pas possibles, les organisations d’aide et de soins à domicile doivent stocker les médicaments de manière centralisée, ce qui, jusqu’à présent, n’est autorisé dans les cantons concernés qu’avec l’accord d’un point de remise et pour une durée limitée.
Les médicaments doivent être stockés de manière qu’il soit toujours clairement déterminé quelles personnes ont accès aux médicaments. Il est recommandé de stocker les stupéfiants séparément (2). La température ambiante doit être contrôlée chaque semaine et la température du réfrigérateur quotidiennement à l’aide d’un thermomètre calibré, puis documentée. Cela permet d’intervenir rapidement en cas d’écart. Pour le contrôle de la température, l’APC a publié un document de positionnement qui peut servir de référence pour les organisations d’aide et de soins à domicile (4). En ce qui concerne le contrôle des dates de péremption, seules les indications du canton du Valais précisent la fréquence des contrôles: les médicaments doivent être vérifiés deux fois par an. Si le
contrôle des dates de péremption est réalisé uniquement lors de la mise à disposition des médicaments, cela représente un désavantage, car le contrôle des dates de péremption peut être oublié plus fréquemment et documenté moins souvent. Idéalement, un contrôle périodique des dates de péremption devrait être effectué afin de retirer les médicaments périmés ou obsolètes, afin de contribuer à la sécurité de la médication des clientes et clients. Les médicaments qui arriveront à expiration avant
le prochain contrôle devraient être clairement identifiés.
Standardisation des processus et documentation
L’APC recommande de documenter chaque étape de la logistique des médicaments à l’aide de procédures opérationnelles standard (POS) et de consigner toutes les étapes, car seules celles qui sont documentées sont considérées comme exécutées (2). L’enquête montre qu’il manque des POS et de la documentation principalement dans les sous-processus suivants: comparaison des médicaments commandés avec ceux livrés, stockage temporaire des médicaments, contrôle et respect des conditions de stockage de 2,0 °C à 8,0 °C, et nettoyage des lieux de stockage. Les associations cantonales peuvent apporter une contribution importante à la standardisation des processus de gestion des médicaments dans les organisations membres en publiant, en concertation avec les pharmaciennes et pharmaciens cantonaux, des recommandations écrites que les organisations peuvent mettre en œuvre sous forme de POS. La durée de conservation des documents relatifs aux stupéfiants est fixée au niveau national à dix ans et doit être strictement respectée. Cela inclut, par exemple, les bons de livraison ou les documents relatifs au contrôle à la réception. En revanche, il n’existe pas de réglementation nationale concernant la durée de conservation des autres documents relatifs aux médicaments. Les cantons de Schaffhouse et de Soleure exigent que tous les documents relatifs aux médicaments soient conservés pendant au moins cinq ans. L’APC recommande de conserver les documents pendant un an après la date de péremption des médicaments (2), ce qui permet généralement de mettre en œuvre la recommandation avec une durée de conservation de six ans. Cependant, cette mise en œuvre est complexe, car la date de péremption n’est pas toujours clairement indiquée sur chaque document. Il serait plus simple de proposer une durée définie à laquelle les organisations d’aide et de soins à domicile pourraient se conformer.
Ces points devraient être réglés par les soins à domicile
Assurance qualité
- Existence de POS pour la commande, l’approvisionnement (livraison, retrait), la réception/comparaison des produits, le contrôle de la température à température ambiante et le stockage au froid, le contrôle des dates de péremption, le nettoyage du lieu de stockage
- Désignation d’une personne responsable de la qualité et, dans l’idéal, collaboration avec des pharmaciennes et pharmaciens
- Documentation définie de chaque étape de la logistique des médicaments
- Conservation de la documentation pendant au moins 5 ans (documents relatifs aux stupéfiants: 10
ans)
Commande
- Traitement uniforme des commandes
- Si possible, transmission électronique directement à partir du dossier patient (traçabilité, évitement
des erreurs)
Approvisionnement (livraison, retrait) et comparaison
- Réduction du nombre de points de remise
- Concevoir des procédures d’approvisionnement aussi uniformes que possible pour les différents points de remise
- Comparaison de toutes les entrées de produits avec la commande ou l’ordonnance (en cas de retrait ou de livraison)
- Comparaison des sorties de produits (lors de la mise à disposition de stupéfiants – sur site et au domicile des clientes et clients)
Stockage temporaire
- Accès réglementé aussi pour les médicaments stockés temporairement pour une courte durée; pas d’armoires ouvertes sans accès réglementé à la pièce; accès réglementé au réfrigérateur
- Idéalement, utilisation d’un réfrigérateur à médicaments (Si réfrigérateur domestique: uniquement stockage de médicaments, stockage uniquement au milieu du réfrigérateur, pas dans les tiroirs inférieurs, directement sous le compartiment congélateur, ou dans la porte latérale)
- Contrôle de la température avec enregistreur de température (automatique, avec fonction de mémoire), y compris des POS pour la gestion des écarts
- Contrôle de la température des médicaments réfrigérés: tous les jours
- Contrôle de la température à température ambiante: une fois par semaine
- Nettoyage des lieux de stockage une fois par mois; dégivrage régulier du réfrigérateur
Stockage permanent
- Collaboration avec un ou une responsable technique (pharmacien·ne), imposée ou recommandée (selon le canton)
- Contrôle des dates de péremption tous les trois mois; comparaison avec la liste actuelle de médication et marquage des médicaments expirant dans les trois mois à venir
- Autres propositions, voir «Stockage temporaire»
Il serait souhaitable qu’un stockage temporaire limité dans le temps puisse être officiellement autorisé dans des conditions raisonnables.
NICOLE LÖTSCHER
pharmacienne et doctorante
Potentiel d’optimisation au niveau national et cantonal
Une grande difficulté pour les organisations d’aide et de soins à domicile réside dans le fait que les textes législatifs et les lignes directrices sont rarement explicitement orientés vers le cadre ambulatoire des soins à domicile, mais se concentrent plutôt sur les établissements stationnaires. En règle générale, on peut dire que les pharmaciennes et pharmaciens cantonaux se basent sur les recommandations de l’APC. Ainsi, les règles de bonnes pratiques de distribution ainsi que les documents de positionnement pertinents peuvent servir de guide pour la mise en œuvre d’une logistique des médicaments adéquate pour le stockage centralisé permanent. Une ligne directrice nationale, spécifiquement conçue pour les conditions du secteur ambulatoire concernant la gestion des médicaments dans le cadre du stockage centralisé au sein des organisations d’aide et de soins à domicile, pourrait apporter plus de clarté et, par l’harmonisation des exigences, éliminer les incertitudes. Les exigences actuellement contradictoires observées dans la comparaison cantonale (stockage centralisé possible vs. non autorisé) n’ont, selon les auteurs, tout simplement aucun sens et empêchent l’établissement national de normes de qualité. Cependant, une réglementation uniforme du stockage centralisé permanent ne résout pas les défis liés au stockage temporaire à court terme. Il serait souhaitable qu’une approche pragmatique permette de rendre officiellement possible un stockage temporaire limité dans le temps sous des conditions raisonnables, car cela est essentiel pour garantir une chaîne d’approvisionnement continue. En fin de compte, cette approche est déjà ancrée dans la législation du canton de Bâle-Campagne.
Des informations complémentaires sur l’enquête ainsi que des articles détaillés, incluant des références relatives aux directives cantonales et aux recommandations, sont disponibles dans des documents accessibles via les liens suivants:
- Logistique des médicaments
- Enquête sur les défis
- Dispositions et recommandations
- Enquête sur la logistique des médicaments
Coordonnées
Nicole Lötscher, pharmacienne, doctorante en pharmacie clinique, pharmacologie clinique et toxicologie, clinique de médecine interne générale, Hôpital universitaire de Berne,
nicole.loetscher@extern.insel.ch
Affiliations
- Pharmacienne, doctorante en pharmacie clinique, pharmacologie clinique et toxicologie, clinique de médecine interne générale, Hôpital universitaire de Berne ↩︎
- Prof. Dr. phil. II, pharmacien-chef et professeur de pharmacie clinique & épidémiologie, département des sciences pharmaceutiques, Université de Bâle et pharmacie hospitalière, Hôpital universitaire de Bâle ↩︎
- Infirmière diplômée, doctorante, département Public Health, Université de Bâle ↩︎
- Prof. Dr, infirmière en soins intégrés, département Public Health, Université de Bâle ↩︎
- Prof. Dr. phil. II, pharmacien spécialisé en pharmacie hospitalière, professeur assistant de pharmacie clinique, de pharmacologie clinique et de toxicologie, clinique de médecine interne générale, Hôpital universitaire de Berne et pharmacie clinique & épidémiologie, département des sciences
pharmaceutiques, Université de Bâle ↩︎
(1) Société scientifique des soins à domicile AFG Spitex Pflege. Document de positionnement de l’APSI Soins à domicile. Gestion de la médication – le rôle des soins à domicile, 10.08.2024.
(2) Association suisse des pharmaciens cantonaux. Règles de bonnes pratiques de remise de médicaments, version 2 (état 4 décembre 2023).
(3) Canton de Bâle-Campagne. 941.11 Ordonnance sur l’accompagnement des personnes âgées et les soins (APV), du 20 mars 2018 (état au 01 janvier 2024).
(4) Association suisse des pharmaciens cantonaux. Prise de position 0024 – Stockage des produits thérapeutiques: surveillance des températures prescrites, V01. Applicable dès le 16 novembre 2022.