
Données de soins: privilégier la qualité à la quantité
Les factures partiellement remboursées ou refusées engendrent des coûts et des tracas, tant pour l’Aide et soins à domicile (ASD) que pour les assureurs-maladie. Silvana Klöti, infirmière de pratique avancée au sein de l’ASD de Saint-Gall, et Caroline Schumacher, responsable de l’équipe soins à domicile et contrôle des soins chez Visana, soulignent l’importance d’une documentation rigoureuse et déconstruisent les préjugés et les clichés les plus répandus.

EVA ZWAHLEN. L’application des soins basés sur les preuves (Evidence-Based Nursing) dans la pratique, la gestion des réclamations, l’accompagnement des responsables de cas dans la prise de décision clinique, la réalisation d’évaluations infirmières et cliniques, ainsi que le développement de standards de qualité, de concepts et de directives: il s’agit-là de quelques-unes des nombreuses responsabilités de Silvana Klöti, MScN chez Spitex St. Gallen AG. Depuis 2025, cette infirmière de pratique avancée de 34 ans, qui a rejoint l’ASD de Saint-Gall en avril 2024, est également responsable du CIRS 1.
Des soins holistiques et centrés sur la personne
A la question de savoir pourquoi une documentation des soins rigoureuse est importante, Silvana Klöti répond: «Elle est essentielle pour la prise en charge des coûts par l’assurance-maladie. La loi sur l’assurance-maladie (LAMal) établit l’efficacité, l’adéquation et l’économicité des prestations comme critères de remboursement. Ceux-ci doivent notamment être démontrés par le biais du rapport d’évolution quotidien.» La documentation des soins permet aussi d’assurer la traçabilité de tous les professionnels impliqués et d’évaluer la qualité du processus de soins, explique l’experte en soins. Selon elle, il est judicieux de collecter des données en lien direct avec le cadre de vie des clientes et clients, et qui sont pertinentes pour une approche holistique et centrée sur la personne – à condition de savoir les interpréter correctement et d’en tirer les bonnes conclusions. Et d’ajouter: «A mes yeux, il est important de recueillir, tout au long de la prise en charge, les données relatives aux changements. Ce sont les phénomènes nouveaux et inattendus qui m’intéressent – tout ce qui s’écarte du ‹plan de soins›. Il est également essentiel de recueillir des données objectives et de ne pas porter de jugement ou d’interprétation.»
Des économies grâce à l’expertise en soins
La tenue du dossier de soins comporte plusieurs points d’achoppement, comme le confirme Silvana Klöti: «Je constate régulièrement que les soignants mentionnent avoir ‹mené un entretien›, sans en préciser la nature ni le contenu. Une conversation quotidienne n’est pas une prestation remboursée par l’assurance-maladie – et pourtant, les soignants veulent être ‹humains›.» Il est donc important de désigner clairement les entretiens de conseil ou d’évaluation en tant que tels. Les exigences éthiques et les contraintes économiques ne se laissent pas toujours facilement concilier, admet-elle: «Malgré tout, je pense que les attentes peuvent finir par se rapprocher. De plus, investir dans du personnel soignant bien formé ou diplômé est un choix payant.» Selon Silvana Klöti, les infirmières et infirmiers de pratique avancée permettent de réduire les (ré)hospitalisations, et leur accompagnement favorise la collaboration interprofessionnelle. Cela conduit à des économies.
L’expérience professionnelle compense la distance
Les contrôleurs des soins, comme Caroline Schumacher de Visana, sont plus éloignés des clientes et des clients. Sur la base de factures et de documents, elle vérifie les prestations prises en charge ou non par les assurances-maladie. Infirmière diplômée avec un CAS en psychiatrie, la professionnelle de santé de 55 ans possède vingt-cinq ans d’expérience pratique dans les soins hospitaliers et ambulatoires. Depuis 2015, elle travaille en tant que responsable d’équipe de soins pour l’assurance-maladie. Ne pas voir les clients est un défi. Caroline Schumacher explique: «Nous ne pouvons pas nous appuyer sur l’expérience de soins personnels avec les clientes et clients concernés, mais devons effectuer nos vérifications des prestations demandées sur la base des informations écrites. Plus la planification et les rapports de soins sont actuels et détaillés, plus il nous est facile de suivre les prestations et le temps consacré.» Cette infirmière expérimentée s’appuie sur sa propre expérience professionnelle, notamment dans les soins à domicile, à l’hôpital et dans les soins de transition, où elle organisait régulièrement des sorties d’hôpital ou des tables rondes.
Sans connaissance du travail quotidien des soins ambulatoires, il est difficile d’évaluer correctement les prestations, estime-t-elle. C’est pourquoi une collaboration étroite avec l’ASD est essentielle, notamment pour traiter les déclarations de besoins supplémentaires, discuter des cas complexes afin d’obtenir des informations précises sur la situation à évaluer, ou encore clarifier des questions générales liées à la définition des prestations, illustre Caroline Schumacher.
Déconstruire les préjugés – favoriser la compréhension
Les préjugés réciproques existent, mais ils ne contribuent pas forcément à une collaboration constructive entre les assureurs et les organisations d’aide et de soins à domicile. Pour déconstruire ces préjugés, il est utile de mieux comprendre la partie adverse. C’est pourquoi nous avons rassemblé les clichés les plus courants et demandé à Silvana Klöti (Spitex St. Gallen AG) et Caroline Schumacher (Visana) d’y répondre, respectivement du point de vue de l’ASD et de celui d’un assureur-maladie.
1) Trois clichés sur les assureurs-maladie
2) Trois clichés sur les organisations d’aide et de soins à domicile

Responsable de l’équipe soins à domicile et contrôleuse des soins, Visana
Trois clichés sur les assureurs-maladie
1. Les assureurs-maladie adoptent une vision purement financière et ne prennent pas en compte une perspective globale du système de santé.
Il est de notre devoir, en tant qu’assureurs-maladie, de contrôler les prestations en fonction des critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité conformément à l’article 32 de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal), et de distinguer les prestations de soins de celles d’accompagnement et d’économie domestique. C’est le mandat que nous a confié le législateur. Seules les prestations répondant à ces critères peuvent être remboursées par l’assurance-maladie obligatoire. Toutefois, ces vérifications sont toujours effectuées en tenant compte du quotidien des soins et d’une vision globale du système de santé – avec discernement.
2. Les assureurs-maladie voient les interventions en soins psychiatriques auprès des personnes atteintes de troubles cognitifs comme de simples «bavardages autour d’un café».
Je dois absolument contredire cette idée! Chez nous, les vérifications des prestations de soins psychiatriques sont effectuées par des spécialistes ayant suivi une formation initiale ou continue correspondante. La base de ces vérifications est le dossier de soins. En soins psychiatriques, certaines prestations peuvent, à première vue, ressembler à des prestations d’accompagnement. Il est donc essentiel que les saisies dans le rapport de soins soient détaillées et se réfèrent aux mesures planifiées, et que la composante psychiatrique et soignante soit clairement formulée. Sinon, des malentendus peuvent survenir. Par exemple, il est prouvé que des interventions verbales combinées à de l’exercice à l’extérieur peuvent être très efficaces. Mais si un rapport de soins mentionne «promenade avec la patiente et conversation», il n’est pas clair s’il s’agit d’une prestation psychiatrique ou d’un accompagnement.
3. Les assureurs-maladie connaissent mal le terrain et sont des «gratte-papiers».
Si vous illustrez notre travail de cette manière, vous avez raison: nous examinons les cas depuis notre bureau. Mais la première partie de ce cliché est totalement erronée: nous connaissons parfaitement la pratique! Au sein de notre département de contrôle des soins à domicile, nous travaillons exclusivement avec des professionnels ayant une longue expérience dans les soins, et tous ont travaillé dans l’Aide et soins à domicile. Nous savons donc, par expérience, quels défis les soignantes et soignants rencontrent au quotidien.

Infirmière de pratique avancée, ASD de St-Gall
Trois clichés sur les organisations d’aide et de soins à domicile
1. Les cas, en particulier lorsqu’il y a des écarts, sont mal documentés par l’ASD.
La documentation peut toujours être améliorée. Mais il est tout aussi important d’éviter une surdocumentation ou des redondances. De mon point de vue, les professionnels des soins n’ont pas besoin de préciser explicitement qu’une intervention a pris plus de temps que prévu ou que ce qui avait été accordé. Ce qui compte, c’est de documenter précisément ce qui était différent ce jour-là et les raisons des actions entreprises. Si cela est bien justifié et compréhensible, les dépassements de temps sont pris en charge par l’assureur. Heureusement, nous disposons d’un bon contrôle de gestion qui surveille régulièrement les éventuels dépassements de budget et discute de ces situations en temps voulu avec les assureurs.
2.Les prestations d’accompagnement sont documentées comme des soins, surtout pour les clientes et les clients atteints de troubles cognitifs.
La frontière entre soins et accompagnement n’est pas toujours évidente selon le tableau clinique. Les personnes atteintes de démence sont, à mon avis, lésées par le système. Les assureurs sont très pointilleux, pour des raisons économiques, lorsqu’il s’agit de distinguer les prestations d’accompagnement des prestations de l’OPAS – ce qui, de leur point de vue, est compréhensible. En tant qu’infirmière de pratique avancée, je considère qu’une prise en charge holistique d’une personne atteinte d’une démence évolutive inclut, par exemple, l’assurance d’un apport suffisant en nutriments et en liquides.
3. L’efficacité des missions de soins n’est pas prouvée, surtout pour les clientes et les clients psychiatriques.
L’efficacité et l’efficience peuvent être objectivées à l’aide d’évaluations et sont également mesurables grâce à une évaluation initiale et à une évaluation de suivi. Les objectifs de soins et leur réalisation sont également déterminants. En matière de soins somatiques, l’efficacité se traduit par exemple par une évolution de la cicatrisation des plaies ou un soulagement de la douleur. Chez les adultes souffrant de troubles dépressifs, des études ont montré que des interventions non pharmacologiques, telles que la thérapie cognitivo-comportementale, ont un effet positif sur la dépression et peuvent aider les personnes concernées à mieux gérer leur quotidien. L’efficacité de ces interventions est donc également perceptible en psychiatrie, mais de manière plus nuancée.
- Critical Incident Reporting System ↩︎