Une équipe dédiée essentiellement à la santé mentale
Depuis 15 ans spécialisé dans les soins psychiatriques infirmiers, Sven Bonzi a rejoint la nouvelle équipe active depuis début 2021 et entièrement dédiée à la santé mentale des personnes suivies par l’Aide et soins à domicile du Réseau Santé Sarine.
PIERRE GUMY. «L’Antenne Psy» du Réseau Santé Sarine, auquel appartient le service d’Aide et soins à domicile (ASD), a pris ses quartiers à proximité de la capitale fribourgeoise et à quelques encablures de l’autoroute. Avec plus d’une centaine de suivis infirmiers dans tout le district, l’équipe doit pouvoir se mettre en route rapidement. C’est le cas de Sven Bonzi, qui se rend chez une patiente en souffrance psychique depuis un accident de la route. «Suite à cet événement, les douleurs lui sont devenues insupportables menant à des crises d’angoisse et des pensées suicidaires», explique l’infirmier qui intervient depuis 3 mois sur cette situation. «Le travail avec elle a permis d’éviter ces crises au maximum. Prochainement, un collègue expert dans les situations traumatiques interviendra également.»
Avec les sept autres collègues de l’équipe, Sven Bonzi se réjouit de la dynamique qui règne au cœur de ce service entièrement dédié à la santé mentale à domicile. Au cours de sa carrière dans les soins de plus de 26 ans, le staviacois a pratiqué au sein de plusieurs institutions, notamment en structures intermédiaires avec des personnes en libération conditionnelle, en établissement psycho-social-médicalisé (EPSM) et d’autres services d’ASD. Mais, à chaque fois, les soins en santé mentale ne sont qu’une tâche parmi d’autres et il se retrouve souvent seul expert du domaine. Il rejoint le Service d’ASD du Réseau Santé Sarine en décembre 2022 pour intégrer «l’Antenne Psy». «C’est une façon de travailler qui me plaît», explique l’infirmier de 47 ans. «Dans cette nouvelle équipe, j’ai la chance de pouvoir échanger quotidiennement avec mes collègues infirmiers ou ASSC, qui ont toutes et tous des connaissances, des approches et des formations distinctes en santé mentale.» Sven Bonzi est persuadé que cette formule profite aux patientes et aux patients comme au personnel du service. Créé en 2021, ce service peut compter sur une précieuse diversité de ressources pour faire face à des situations toutes uniques et complexes.
Savoir dire ses limites
Sven Bonzi apprécie tout particulièrement nouer un partenariat fort avec les patientes et les patients qu’il suit. «Mon approche est systémique, et je m’appuie sur les ressources de la personne pour qu’elle puisse s’autodéterminer un maximum tout au long de son parcours de soins.» Et cette relation de confiance s’établit d’autant mieux quand les confidences se font dans les deux sens. «Comme professionnel en santé mentale, j’ai appris à connaître mes limites. Selon les situations, je partage certains moments de ma vie privée ou je reste disponible parfois sur mon temps libre.» Un exercice délicat d’équilibriste et qui demande une posture professionnelle bâtie sur l’expérience du terrain, explique-t-il en garant son véhicule devant l’immeuble où a lieu sa visite.
L’accueil chez la patiente est chaleureux, même si on peut lire sur son visage les douleurs qui lui mènent la vie dure. Installés dans le salon, l’infirmier et la patiente entament la conversation par les événements de la semaine écoulée. Sans même ouvrir un dossier, Sven Bonzi énumère sans peine les derniers rendez-vous médicaux auxquels sa patiente a dû assister. Il s’agit de soins complexes, voire des traitements expérimentaux contre la douleur. L’infirmier s’assure qu’elle a vécu tous ces événements sans connaître trop de stress. Après avoir été renversée par une voiture dans son quartier, la patiente angoisse au moment de sortir de chez elle. Mais le stress s’installe parfois également à cause de la barrière de la langue, de la multitude d’intervenants dans les soins ou encore dans les échanges fréquents qu’elle a avec sa famille. «Mon fils a arrêté de faire de la moto, parce qu’il sait que, depuis l’accident, c’est quelque chose qui m’angoisse», confie-t-elle.
C’est une relation de confiance qui se noue au fil des rencontres et qui permet à Sven Bonzi de baliser avec sa patiente des projets à venir. «On aménage des sorties, qui soulagent ses douleurs, tout en veillant à ce que ces balades en extérieur se fassent sans trop de sollicitations pour ménager ses angoisses», explique l’infirmier. Quand la patiente s’exprime sur ses douleurs au niveau des cervicales et de paralysies momentanées au bras, l’infirmier staviacois sait exprimer, là aussi, les limites de ses compétences. «Je ne suis pas spécialiste dans ce domaine, si les symptômes persistent, consulter un médecin est la meilleure chose à faire», conseille-t-il. «Et pour les douleurs, le Réseau Santé Sarine travaille avec des ergothérapeutes, ou en partenariat externe avec des physiothérapeutes, qui pourraient peut-être les soulager.»
«Comme un frère»
Sans doute grâce à ses 15 ans d’expérience dans le domaine de la psychiatrie, l’infirmier n’oublie aucun aspect important de la vie quotidienne de la patiente, de la qualité du sommeil au repas, en passant par les visites des proches. Un tour d’horizon en douceur sur des événements parfois difficiles pour cette grand-maman qui n’a plus la force de porter son petit-fils et demande de l’aide à ses enfants pour certaines tâches du quotidien. «Vous avez brillamment accompli seule votre rôle de mère», souligne Sven Bonzi qui met en évidence les deux facettes d’une même situation pour éviter toute culpabilisation. «Vous êtes grand-mère également maintenant, et il est normal à présent que les rôles s’inversent parfois.» Malgré une période de vie chamboulée, la patiente se prend plusieurs fois à sourire tout au long de la conversation avec l’infirmier, une conversation qui se détend pour aborder aussi quelques thèmes plus légers. «Mon frère comprend mes angoisses, et j’arrive à tout lui dire. Avec Sven, c’est pareil, c’est comme un frère.»
La remarque va droit au cœur de l’infirmier qui accueille ce compliment avec plaisir et, au moment des confidences, il lui retourne également son ressenti positif sur la situation. «Vous êtes une femme pleine de ressources et de qualités! Malgré les douleurs et les difficultés psychologiques, c’est vous qui restez la cheffe à bord!» Une remarque qui souligne la force de caractère de cette femme qui parvient à tenir sa maison de manière impeccable et à assumer les lourdes démarches administratives nécessaires pour prétendre à l’assurance invalidité, par exemple, alors que sa santé mentale est rudement mise à l’épreuve.
En santé mentale, on travaille au travers de la relation humaine. S’il y a un trop-plein d’émotions, il n’y a nulle part où se réfugier.
Sven bonzi
Infirmier, Réseau Santé Sarine
Responsabilités partagées
«Cette situation est, pour moi, un exemple concret d’un partenariat réussi dans les soins», explique Sven Bonzi une fois la visite terminée. «J’ai suivi des patients en liberté conditionnelle ou qui étaient assignés à des soins psychologiques par la justice. Dans ces cas-là, une telle approche est rarement possible», se souvient-il. Une raison de plus pour lui de se réjouir du fonctionnement de cette nouvelle unité fribourgeoise en santé mentale à domicile. «Dans les situations complexes, on échange nos expertises et on partage les responsabilités en équipe.» Pour cet infirmier, se ressourcer sur son temps libre, en famille, et s’offrir une hygiène de vie exemplaire est nécessaire pour assumer la charge mentale et émotionnelle liée à ce métier. «En santé mentale, on travaille au travers de la relation humaine. S’il y a un trop-plein d’émotions, il n’y a nulle part où se réfugier.»
Cette équipe sarinoise permet davantage de colloques ou d’échanges informels qui mettent en lumière également les points positifs. «Nos interventions n’amènent que peu de résultats tangibles et mesurables. C’est parfois difficile, seul, de les valoriser. Avec le regard de notre équipe, mais aussi des intervenants des hôpitaux ou des services de curatelles, les petites victoires acquises sur le long terme deviennent plus facilement visibles», conclut Sven Bonzi.