«Les soins pédiatriques à domicile nous ont soulagés d’une énorme pression»
En raison d’une mutation génétique rare, Mira, 13 ans, est polyhandicapée. Le service de soins pédiatriques à domicile de la fondation d’utilité publique Kifa soutient l’adolescente lors des soins et l’accompagne. Cela permet de soulager sa famille au quotidien, ce qui profite aussi à ses deux plus jeunes sœurs.
MARTINA KLEINSORG. «Bien sûr, le handicap se voit de l’extérieur, mais il est difficile de deviner tout ce qui ne va pas dans son corps», dit Bettina Müller* en parlant de sa fille de 13 ans, Mira, l’aînée de ses trois filles. Alors que Naïma, 7 ans, «s’agite» un peu, Malika, 12 ans, sert des biscuits. Plus tard, Mira les rejoint. «Nous devions d’abord terminer un puzzle», explique Meike van Beem, l’une des six infirmières des soins pédiatriques à domicile de la fondation Kifa Suisse (voir encadré), qui soutient régulièrement la famille pour les soins et l’accompagnement en tant qu’équipe de référence. Mira observe avec intérêt la journaliste qui lui fait signe de la main et s’approche en glissant sur le sol. Christoph Müller, le père, est lui aussi à la maison et s’assoit à table.
Un diagnostic en chasse un autre
Lors de l’échographie réalisée à la 20e semaine de grossesse, des anomalies sont décelées au niveau des reins et de l’estomac de Mira. «Même si une intervention était prévue après la naissance, on partait du principe que l’enfant était par ailleurs en bonne santé», se souvient Bettina Müller. L’opération a lieu après une césarienne d’urgence à la 36e semaine. Mira ne pèse alors que 1500 grammes. Elle passe plusieurs mois en néonatologie, les diagnostics se succèdent jusqu’à ce que le syndrome de Feingold soit identifié comme la cause des nombreux troubles du développement des organes qui ont été constatés entre-temps – une mutation génétique très rare, avec moins de 100 cas connus à ce jour. De nombreux organes de Mira sont touchés – soit inexistants, soit malades: ainsi, seul un rein fonctionne, l’absence de rate la rend vulnérable aux infections, elle tombe gravement malade à plusieurs reprises et doit être hospitalisée. De plus, Mira est sourde. Il lui manque le nerf auditif de sorte qu’aucun implant ne peut l’aider.
La situation est très complexe sur le plan médical et la collaboration avec l’équipe de médecins et de chirurgie est étroite. «Personne ne pouvait nous dire ce qui nous attendait», se remémore la maman de 46 ans. «Nous ne faisions que fonctionner et ne dormions presque plus. Chez nous, on se serait cru dans une unité de soins intensifs.» Toutes les quatre heures, le couple se relaie: prendre l’enfant quand il régurgite, vérifier la saturation en oxygène, aspirer les voies respiratoires. «C’était physiquement extrêmement fatigant, d’autant plus que nous travaillions tous les deux comme enseignants.» Pendant la journée, les parents, les beaux-parents ou les frères et sœurs prennent le relais, un réseau familial qui perdure encore aujourd’hui.
Mira a à peine un an, Malika est déjà née, lorsqu’on leur conseille à l’hôpital de s’adresser à la fondation Kifa. Après la première visite des soins pédiatriques à domicile à la famille de Burgdorf (BE), la direction régionale organise immédiatement un soutien qui s’étend rapidement à quatre nuits par semaine. «Même si, au début, nous avons dû gérer certaines nuits de garde à trois avec une collaboratrice de Kifa, nous avons ressenti un grand soulagement face à l’immense pression», confirme Bettina Müller. Elle et son mari, qui avaient jusqu’alors dû apprendre beaucoup en autodidactes, reçoivent désormais une aide professionnelle et des instructions pour les soins, que ce soit pour le maniement de la sonde duodénale, un tube en plastique que Mira portait 18 heures par jour pour s’alimenter par l’intestin grêle, ou pour la pose d’une sonde gastrique.
La fondation Kifa Suisse
La fondation Kifa Suisse, dont le siège est à Zofingen (AG), est une organisation d’utilité publique à but non lucratif qui emploie au total 160 personnes. Environ 140 d’entre elles travaillent dans les soins et vingt dans le domaine administratif, au secrétariat et à la direction régionale. Issue de la Fondation Joël créée en 1990, Kifa soigne et prend en charge des enfants et des adolescents atteints dans leur santé et soutient et soulage leurs proches dans toute la Suisse alémanique. Depuis septembre 2022, Kifa est membre de l’association faîtière Aide et soins à domicile Suisse. Le financement des soins est assuré par la caisse-maladie ou l’assurance invalidité, complété par des contributions communales et cantonales ainsi que par des dons. Six offres de répit financées par des dons complètent l’offre de soins pédiatriques à domicile de la fondation Kifa.
Quatre mois de voyage dans un tipi
Mira a 6 ans lorsqu’un spécialiste du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) constate la présence de fistules entre la trachée et l’œsophage. Quatre interventions sont nécessaires pour sauver ses poumons gravement endommagés. «En fait, à ce moment-là, Mira aurait pu mourir d’un jour à l’autre», réalise Bettina Müller.
Après la dernière opération, Mira contracte un virus respiratoire et a besoin d’oxygène en continu. Pour se rétablir et éviter une trachéotomie, les médecins recommandent un séjour de longue durée à la montagne ou à la mer. Pendant quatre mois, la famille – qui s’est agrandie avec Naïma qui est encore un bébé à l’époque – voyage en Suisse, en France et en Corse avec un tipi, emportant tout le matériel médical nécessaire et de la nourriture par sonde. Au bout de deux mois, Mira n’a plus besoin d’apport en oxygène. S’ensuivent des expéditions en Écosse et en Norvège. «Au quotidien, nous avons besoin d’aide. Ces voyages sont une parenthèse qui nous soudent en tant que famille», explique Bettina Müller. Selon elle, l’équipe Kifa les encourage dans leurs projets et reprend à chaque fois rapidement une routine à leur retour.
Bien que l’état de Mira devienne plus stable, le couple continue à donner son maximum – jusqu’à l’épuisement. «Même dans cette phase, Kifa nous a soutenus. Nous pouvions nous montrer vulnérables, nous nous avons constamment été soutenus de manière positive.» L’équipe maintient toujours le bon équilibre entre proximité et distance et apporte du renfort à la famille avec la plus grande flexibilité possible. Grâce à cette marge de manœuvre, Bettina Müller a pu suivre une formation de mentor en entreprise.
Meike van Beem, originaire du nord de l’Allemagne, travaille à 40% pour Kifa depuis 2013, Mira étant sa première cliente. Les soins de référence constituent un aspect central pour cette infirmière pédiatrique de formation: «Nous entretenons une relation étroite et nous connaissons très bien.» C’est essentiel en raison de la communication limitée qui se fait dans la langue des signes suisse. Et il faut pouvoir reconnaître à partir des gestes et des mimiques de Mira si quelque chose ne va pas. «Elle fait entièrement confiance à tous les membres de l’équipe Kifa. Nous pouvons être sûrs qu’elle sera traitée avec respect», confirme Christoph Müller.
Chacune des infirmières Kifa qui s’occupent actuellement de Mira, trois jours par semaine au total, a ses propres compétences que Malika appelle des «super pouvoirs». «Meike est très orientée vers les solutions», raconte Christoph Müller en évoquant son mérite à intégrer l’entraînement aux toilettes dans la vie quotidienne. Meike les initie également à la vie de famille exigeante avec des adolescentes. «Pour Mira, il est important d’être belle et soignée», dit son père. L’équipe prend également tout le temps nécessaire pour les soins corporels afin que Mira apprenne les gestes à son rythme.
Mira voit les opportunités plutôt que les limites
Quatre jours par semaine, Mira est la seule personne sourde à suivre une classe pour enfants polyhandicapés à l’école pour aveugles de Zollikofen. Son mercredi de libre, elle le passe souvent avec Meike van Beem et son petit chien, dont elle est complètement éprise. Il la stimule lors des promenades en déambulateur. Mira aime se déplacer et a déjà pu assister à la naissance d’un petit veau à la ferme. S’adapter à un nouvel environnement et à des situations inconnues, cela lui profite beaucoup: «Elle adore l’aventure», dit Christoph Müller. «C’est une enfant joyeuse qui voit les opportunités plutôt que les limites.»
Kifa est présente lors de nombreuses fêtes familiales, comme la visite du Père Noël dans la forêt voisine où tout le monde se réunit autour d’un feu de camp. Lorsque le Père Noël s’annonce en faisant sonner sa cloche, le message est traduit en langue des signes pour que Mira puisse y participer activement. Pendant les fêtes de fin d’année, la famille reste entre elle. Lors de la période qui précède Noël, Mira aime faire de la pâtisserie et du bricolage. Les collaboratrices de Kifa savent faire passer les étapes nécessaires aux soins de manière ludique et avec humour. Avec son bonnet rouge sur la tête, Mira est ensuite motivée pour inhaler.
Offrir du temps aux frères et sœurs est l’une des six offres de répit que Kifa finance par des dons. La famille a déjà pu en profiter à plusieurs reprises: pendant qu’une collaboratrice s’occupait de Mira, les parents pouvaient passer du temps avec les deux sœurs de Mira sans soucis. La première fois, Malika a eu du mal avec ça: «Si nous faisons quelque chose sans Mira, cela ne doit vraiment pas être accessible pour elle, sinon elle pourrait aussi venir.» Une visite du château de Chillon a suffi à satisfaire cette exigence. L’année dernière, le choix s’est porté sur l’auberge de jeunesse locale du château de Burgdorf. La santé de Mira n’était pas très stable à l’époque, c’est pourquoi on voulait rester à proximité, raconte Bettina Müller: «Kifa nous a encouragés à entreprendre cette excursion. Pour les enfants, c’était comme des vacances.»
Pour Meike van Beem, la confiance placée en elle et en ses collègues ne va pas de soi: «C’est un honneur de s’occuper d’enfants en situation de handicap, c’est pourquoi nous essayons de faire tout notre possible pour eux et leurs familles.»
*Le nom de famille a été modifié par la rédaction.
Nous avons besoin d’aide au quotidien. Nos voyages sont une parenthèse qui nous soude en tant que famille.
BETTINA MÜLLER
Mère de Mira, cliente des soins pédiatriques à domicile