«La guerre en Ukraine a compliqué l’accès aux soins»
La guerre entraîne irrémédiablement la population dans de grandes difficultés. Les personnes atteintes dans leur santé en souffrent particulièrement et elles sont nombreuses à fuir le conflit pour avoir accès aux soins nécessaires. C’est le cas de Tamara Nikolaeva, grand-mère ukrainienne alors au seuil de la mort, qui a rejoint sa fille et son petit-fils en Suisse en décembre 2022.
PIERRE GUMY. Leonid Nikolayev se tient debout près du lit, à disposition pour traduire ce que sa grand-mère souhaite raconter. Avec sa mère Yuliya, ce garçon a fui la guerre et Kiev il y a une année. Depuis, il a intégré l’école obligatoire à Orbe. Le voilà réfugié sur les hauts de Romainmôtier et parlant depuis peu la langue de son pays d’accueil.
Sa grand-mère Tamara partage avec lui et sa mère un appartement sous les combles, composé d’une grande pièce, avec mezzanine, et d’une cuisine séparée. Ici, trois générations cohabitent et attendent la fin du conflit pour rentrer en Ukraine. Mais la guerre se prolonge et ce qui était pensé comme provisoire s’installe dans la durée. Gérante d’une chaîne de restaurant en Ukraine, Yuliya prend des cours de français pour trouver du travail en Suisse. Malgré la guerre, Tamara, âgée de 84 ans, elle, ne voulait pas quitter son pays, confie-t-elle les yeux tristes. Sa santé l’y a contrainte. Elle est arrivée en Suisse plus récemment, juste après Noël 2022, pour rejoindre les siens dans le nord vaudois.
D’Odessa à Romainmôtier
«Le système de santé en Ukraine est bien moins coordonné qu’en Suisse», traduit Leonid dans un français hésitant après que sa mère et sa grand-mère ont échangé en ukrainien. «Et la guerre a encore compliqué l’accès aux soins.» Souffrant de diabète, l’octogénaire habitant Odessa se blesse au pied lors d’une chute. Commence alors un parcours du combattant pour trouver un spécialiste capable de lui offrir le traitement adéquat. Mais la plaie s’infecte et les médicaments prescrits aggravent son diabète. Quand sa fille retourne brièvement au pays la voir, sa mère est dans un état comateux. «Je ne pouvais pas la laisser dans cet état!»
Elle entame les démarches pour entreprendre le voyage de retour en Suisse avec sa mère. Comme Yuliya connaît la procédure d’accueil, elle parvient rapidement à faire en sorte de pouvoir accueillir sa mère, chez elle, à Romainmôtier. «C’est l’hôpital de Morges qui a sauvé la vie de ma maman», explique-t-elle, émue. Alors que sa mère reprend peu à peu des forces après une hospitalisation en Suisse, Leonid et sa mère envisagent enfin un avenir plus serein pour celle qui est la doyenne de la famille Nikolayev. «Quand ma mère a commencé à nouveau à me contredire et à m’expliquer comment je devais faire ci ou ça, j’ai su qu’elle allait s’en sortir», sourit Yuliya, suivie par sa mère qui rit de bon cœur après avoir saisi la touche d’humour traduite par son petit-fils.
Auprès de cette famille ukrainienne, Julien Dreyer, infirmier, assure la référence pour l’Aide et soins à domicile (ASD) du centre médico-social (CMS) d’Orbe. Depuis mars, il intervient pour effectuer la réfection des pansements de plaies dont souffre Tamara. Il a su créer un climat de confiance et donner toutes les explications liées aux soins, si bien que Leonid est capable de décrire les soins indispensables pour que sa grand-mère garde la santé. Pendant ce temps, l’infirmier remplace le bandage avec soin. «Selon les médecins, les artères du pied sont trop endommagées, elles ne peuvent pas être désobstruées. Mais les plaies peuvent être soignées même si une cicatrisation totale ne sera sans doute pas possible.»
Le système de santé
en Ukraine est bien moins
coordonné qu’en Suisse.
LEONID NIKOLAYEV
Réfugié ukrainien
A l’écoute en toute situation
Au fil de la discussion, on comprend l’état de tension forte qu’ont vécu Yuliya et Leonid jusqu’à parvenir à stabiliser l’état de santé de l’aînée des Nikolayev. Une tension avec laquelle Julien Dreyer et les professionnels du CMS d’Orbe ont dû composer. «Au début du suivi, nous intervenions trois fois par semaine, c’était alors important de beaucoup rassurer et d’expliquer chacun de nos gestes», détaille-t-il. «Tamara Nikolaeva a rencontré de nombreux spécialistes. Nous avons trouvé un équilibre pour communiquer suffisamment sans surcharger la patiente et sa famille en informations.» Le pied muni d’un pansement neuf, la grand-mère se met debout et fait quelques pas, un exploit qu’elle n’imaginait pas possible il y a encore quelques semaines, explique-t-elle. «Sur les trois plaies, une a même guéri!», se réjouit-elle.
«Les réfugiés de guerre bénéficient du même suivi et de la même prise en soins que tout le monde», confie l’infirmier de 34 ans. «L’offre est la même. Les soins sont adaptés en fonction de chaque contexte et ressources individuels, cette adaptation repose sur l’évaluation de la situation. Nous sommes à l’écoute des besoins des clients, comme dans toute situation.» Et que se passe-t-il si Tamara et sa famille rentrent au pays? «Ici aussi, c’est une même procédure qui s’applique, qu’on change de canton ou de pays, le CMS met à disposition un rapport exhaustif décrivant les soins administrés par l’ASD.»
Un retour que Tamara et les siens espèrent rapide. Et la grand-mère d’esquisser un dicton ukrainien: «Nous sommes bien partout, mais jamais aussi bien que chez soi!» Mais son sourire s’efface quand les souvenirs de son départ ressurgissent: «Je ne voulais pas quitter Odessa. J’y suis restée alors que beaucoup de ma famille partaient», explique celle, désormais en larmes, qui a vécu et vieilli dans cette ville qu’elle décrit avec amour. «J’y habite un grand appartement de 100 m2. A Odessa, il y a la mer, l’opéra et des monuments historiques magnifiques.»
Au début du suivi, nous intervenions trois fois par semaine, c’était alors important de beaucoup rassurer et d’expliquer chacun de nos gestes.
JULIEN DREYER
Infirmier au CMS d’Orbe
Lausanne en attendant Kiev
Bouleversées, Tamara et sa fille soulignent la bienveillance de l’accueil en Suisse, et cela malgré la barrière de la langue. «La qualité des soins et le personnel sont formidables», insiste Yuliya qui se souvient de la salle d’opération qui a accueilli sa mère. «Je me croyais dans un véritable vaisseau spatial.» Leonid aussi veut revoir Kiev. «Là-bas, tout est toujours ouvert, 24 h sur 24. Ici, tout est fermé le week-end dès 17 h.» Passer de Kiev à la campagne vaudoise a appris au jeune homme à planifier, sourit sa mère alors que Julien Dreyer vérifie les dates des prochaines consultations chez le spécialiste en angiologie. Une visite qui permettra à Leonid de passer par Lausanne: «J’aime cette ville, j’y retrouve un peu de l’ambiance de Kiev!»